Pour mon premier Tarantino, (il était temps), j'ai donc décidé de commencer par la base, son premier film, Reservoir Dogs. Le pitch étant relativement aguichant -malgré une idée de base classique (un casse, des gangsters)- l'idée du huis-clos m'a plutôt intrigué. Et, je l'avoue, ça m'a semblé un peu plus alléchant que ses films les plus médiatisés (et largement surcotés à mon sens, au hasard Pulp Fiction), qui tapissent tous les apparts d'étudiants que je ne peux pas saquer. Les mêmes qui sont en bave comme d'insupportables fanboys dès qu'on aborde leur cinéaste préféré, parce que bon la violence gratuite, des punchlines et la bande-son pop-rock facile qui appâte le badaud et fait remuer les foules, ça me gonfle en moins de deux. Bah c'est con pour moi, mais c'est déjà le cas dans Reservoir Dogs. J'avais peur de voir tous mes préjugés envers Tarantino se réaliser à l'écran, et au final j'étais pas si loin. Et pourtant, j'avais une certaine forme d'espoir avant le visionnage. Un brin de curiosité, un honnête élan de tolérance (parce que c'était son premier film), un peu d'attente avec l'aspect en apparence frais du scénario (cf. plus haut). Et au final, c'est donc une franche déception. Non pas que le film soit mauvais en soi, mais bien qu'il ne mérite pas toutes ces louanges.

Le jeu d'acteur est globalement bon à mon avis. Buscemi se distingue dans son rôle de prédilection, le loser marrant; par contre Madsen se la joue insupportable. Certains diront qu'il se fait plaisir devant la caméra, moi ça m'a fait sourire trente secondes et après c'est du pur cabotinage grotesque et pseudo-rigolo ("hahahahaha je te mutile en me dandinant sur de la musique, interrompez-moi, je suis un dangereux fou à lier et je le joue bien tiens"). Je rage un peu, mais bon sang que cette scène de torture manque de spontanéité, à croire qu'elle a été placée là gratuitement, pour le sang et la musique suffisamment simple(-iste?) pour qu'on la retienne pendant des décennies (notez bien le jeu de mot très marrant du titre de la chanson en rapport avec la scène, merci Quentin pour cette bonne boutade). Comme souvent dans le film et chez Tarantino par la suite, ce genre de scènes sont de simples saynètes. Si on en avait fait un court-métrage, ça aurait sans doute eu de l'effet. Mais là c'est tout juste un moment facile pour faire de s'attirer les sympathies du cinéphile du dimanche comme du grand public en quête de sensations un tant soit peu badass et immorales pour pimenter son morne samedi aprèm. Et puis ça permet d'enjoliver un film dont l'histoire est en somme assez brève et qu'il faut irriguer (comprenez par là, faire du remplissage) afin de dépasser le quart d'heure. Je pense que Quentin s'était bien rendu compte qu'il était un peu juste, alors il a sauvé les meubles en rajoutant deux-trois passages et péripéties dispensables pour dépasser l'heure et demi de pelloche à faire défiler.

Mais c'est là que Tarantino affiche des limites assez critiques à son cinéma, et qui se retrouvent notamment dans Pulp Fiction. Assez logiquement, il réalise des scènes assez longues et indécises, afin de faire monter le suspens (normal après tout, c'est quand même un film de gangster) et ça je ne lui reproche pas, bien au contraire. Par contre, il s'est bien rendu compte qu'en gros, son film allait être plutôt chiant tel quel. Du coup, ça explique la narration non-linéaire et donc les scènes sont découpées. Mais vas-y qu'on abuse des ellipses et les rétrospectives afin de mettre du punch dans l'histoire. C'est justifié narrativement parlant (ne soyons pas de mauvaise foi), mais ces procédés sont très abrupts, et largement abusés au point que ça en devient un joyeux bordel. Ça reste assez confus jusqu'aux scènes finales qui viennent tout régler assez miraculeusement : je parle des palabres d'une platitude affligeante au possible et qui ruine partiellement les effets de tension (j'y viens juste après) et surtout les réactions improbables et puériles des gangsters ("je suis en colère je t'écoute pas et je te tire dessus comme un gosse qui joue à la guerre"). Même si les comportements sont totalement ahurissant de bêtise (et je le dis bien, pour moi, ce n'est pas de l'absurde) jusque là, le rythme est heureusement fort bien maîtrisé dans les derniers moments. Malgré ces dialogues justement chiants, les personnages paniquent jusqu'à l'impasse mexicaine, ainsi lors l'ouverture précipitée et enfin imprévisible, de fait bien plus entraînante. Dommage qu'il eut fallu se coltiner une heure et quart de péripéties fadasses. Je vais même jusqu'à penser que Tarantino aurait mieux fait de faire un film court de trente ou quarante-cinq minutes, gardant la mise en intrigue et le final, afin d'atteindre une très forte intensité. Je refais un peu le film, mais tej le passé chiant des gangsters qui mène à une intrigue secondaire terne et qui ne change en rien l'histoire nous aurait évité des saynètes peu croustillantes et bon marché.

Justement, c'est ce ton complaisant sur lequel l'hémoglobine, les blagues sur la teuch de Madonna lol et les insultes gratinées giclent gratuitement qui me saoulent. Non content de ses bonnes farces, Quentin en remet des couches et des couches. Il semblerait que ça fasse beaucoup rire et que c'est un style, moi je trouve ça juste très lourd et enfantin. En fait je crois que c'est Tarantino lui-même qui m'a profondément agacé, plus que le film en tout cas. Je l'ai trouvé d'une intense prétention qui donne au film une dimension m'as-tu-vu. La manière avec laquelle il manie la caméra est juste insupportable : Quentin est absolument pédant dans chacune des scènes. Tout en restant très académique, il cherche toujours un effet par un plan assez particulier et travaillé (travellings en cascades, focus très (trop) prononcés, etc.). Sans juger esthétiquement parlant, c'est très oppressant et ça devient lourd à la longue, surtout dans un huis-clos qui ne se prend pas vraiment au sérieux. La disposition dans l'espace des personnages est également peu naturelle, très maniérée afin que l'on puisse le sens de la composition "tarantinesque"; à nouveau, ce cinéaste à les chevilles qui enflent et à l'impression qu'il produit du culte à chaque plan. Alors certes il n'est pas manchot, mais j'ai plutôt l'idée qu'il veut montrer au monde du cinéma est au reste qu'il a bien appris ses leçons et qu'il maîtrise les mille et une techniques possibles de plans différents. Au point que ça en devient extrêmement fatiguant, et que l'on aimerait plus se focaliser sur l'intrigue qui est de loin le point fort du film, plutôt que sur des cabrioles de style et de références consensuelles (afin d'étaler sa culture pourtant fantastique du 7ème art).

Globalement, j'ai taillé sec envers ce film et Tarantino. J'ai pas trop insisté sur les bons points du film (malgré le verbiage parfois agressif, il y en a bien !), mais je voulais surtout insister sur les points où je trouve Tarantino absolument surcoté. Je le trouve cuistre, puéril dans sa démarche cinématographique dans la mesure où il met plus en avant ses références et son goût pour la mise en scène tape-à-l’œil plutôt que ses histoires. Parce que oui, pour moi, c'est là où est le vrai talent de Tarantino : ce mec à des tonnes d'idées et de scénarios originaux (ici, les noms de couleurs, le huis-clos chez des gangsters, etc.) et il arrive à les mettre en scène avec un ton décalé, frais à la base. Mais dans les faits, c'est juste un gosse qui veut montrer qu'il sait tout faire, qu'il a tout vu et qui s'auto-détruit à vouloir faire chacun de ses films le meilleur de l'histoire du cinéma. Or justement, sa place à mon sens, n'est pas au cinéma culte mais plutôt à un côté plus décalé, assez original; qu'il ne met pas assez en avant. Au final et à mon avis, cet orgueil le relègue, et son film par la même occasion, à du cinéma moyen, avec un arrière-goût amer dans la bouche de quelque chose qui est sous-exploité.

Post-scriptor : Pour mon bonheur, Jackie Brown me réconcilia un peu avec ce narvalo du cinéma.
BrookMan
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le 1 mars 2013

Modifiée

le 15 juin 2014

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BrookMan

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