Charlie est une lycéenne de dix-sept ans, libre, croquant la vie à pleine dent, sans problèmes, aimée par ses amis, sa famille et aimante de ceux-là. Elle a une très bonne relation avec sa mère. Sarah, quant à elle, est une jeune fille arrivant à peine dans la ville et dans le lycée de Charlie. Elle raconte à cette dernière, alors placée à côté d’elle dans la salle de classe, que sa mère travaille dans une OMG. Après avoir sympathisé, toutes les deux sont prises d’une très forte amitié, elles se font confiance et se racontent leurs aventures, leurs expériences, restée au fond d’elles-mêmes, jusque-là. Pourtant, malgré Charlie qui pense que leur amitié est forte et sans faille, Sarah ne se gêne pas pour la manipuler pour son propre intérêt et devenir ce que toute adolescente veut devenir : populaire, appréciée, idolâtrée et désirée.
Mélanie Laurent signe ici un deuxième long-métrage et affirme ses talents sûrs de réalisatrice comme de scénariste d’adaptation. Le chef d’œuvre est simple, sobre, idéal dans sa durée ; le spectateur a le temps d’aimer sans s’ennuyer, ce qui est rarement le cas dans les drames français. Le thème de la jeunesse est abordé, et ce d’une manière extrêmement juste et réelle. En effet, la réalisatrice refuse de créer un univers particulièrement stéréotypé, comme l’aurait fait certains scénaristes ou réalisateurs, en filmant des écrans d’ordinateurs, des téléphones portables : éléments très peu cinématographiques, relevant plus de la présence d’un mauvais documentariste plutôt que d’un artiste digne de ce nom. Le fait de montrer la jeunesse avec un point de vue poétique est un milieu hostile où certains cinéastes mettent un pied et le retire directement de cette eau trouble (d’autres se sont noyés, cela va de soi). Mélanie La
urent, elle, reste en surface pour ne pas se mettre en danger, mais en allant chercher au plus profond, tout en montrant un paysage naturel, au lieu de filmer la laideur des paysages urbains. Et donc, alors que le sauvage l’emporte sur la ville ; le silence l’emporte sur l’inutile « blabla » qui aurait surplombé l’œuvre, l’humour l’emporte parfois sur le tragique (mention spéciale à Isabelle Carré, qui tient son rôle de mère excessivement bien), et vice-versa, au moment, heureusement opportun. Tous ces ingrédients font que le drame s’assimile lucidement au thriller, comme en résulterait un savant mélange entre un Kechiche et un Polanski.
Il est aussi difficile de parler du film sans faire l’éloge d’une performance d’actrice incroyable. Effectivement, Joséphine Japy tout comme Lou de Laâge rendent Respire encore plus aérien, vivant. L’interprète de Sarah arrive à trouver le juste milieu entre la petite adolescente peste et l’antagoniste pure presque caricaturale pour nous faire remarquer que tout le monde à une part de Charlie mais aussi de Sarah en soi, puisque cette dernière cache ses problèmes derrière ses mensonges, qui se cachent eux-mêmes derrière un caractère original, une beauté et une folie. Cet emboîtement donne ainsi du relief et permet une mise en abyme du spectateur à l’intérieur du film. Celui-ci se sent concerné par la plupart des problèmes évoqués : l’adolescence, le fait de grandir, la manipulation et la famille (si l’on considère que c’est un problème, comme c’est le cas pour Sarah). Et le spectateur parvient presque à se pardonner l’horreur du personnage, en se remettant perpétuellement en question sur ses propres actes en société.
Puis en évoquant ces différents points, on peut aussi rappeler que la mise en scène et le travail de scénographie est assez fabuleux, puisque se retire de cette œuvre une très belle lumière, des jolis décors et une musique assez bonne…
Enfin, le simple mot que constitue le titre donne un air de renouveau, d’un nouvel oxygène, d’une reprise de souffle au film tout comme au cinéma français et aux drames, en général. Le personnage de Charlie est, par bonheur (et c’est assez horrible de se dire ça), complètement libérée de l’oppression, de la lourde atmosphère qui pèse pendant la suffocante heure et demie (avec une gestion de l’image et du son assez parfaite – comme lors de la course de Charlie, un des meilleurs passages du film, ou du moins le plus signifiant, où la caméra subjective s’appuie sur des bruits sourds et une mise au point tant originale que très bien exécutée), grâce une fin étonnante (dans le bon sens) et où le spectateur entre encore en jeu puisqu’il est libre de s’imaginer la suite.
Respire marque, Respire choque, Respire laisse une trace incroyable dans la vie d’un jeune, tant par ses qualités cinématographiques et techniques que par ses qualités scénaristiques, Respire amène une explication et un désir de vigilance, ayant l’excellente audace de vouloir éradiquer les problèmes en les montrant mieux que quiconque. Respire, le deuxième long-métrage de Mélanie Laurent, révèle, comme l’avait déjà commencé son prédecesseur, une très bonne réalisatrice qui a mis la barre très haut. Et donc, le seul point négatif est que, un futur long-métrage (espérons qu’il verra le jour) peut vite risquer de nous décevoir, tellement le précédant était excellemment subjuguant. Bonne chance Mélanie !

Piputyy
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le 20 sept. 2015

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Jules Cales

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