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le 10 mai 2016
Back in Time.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser en voyant le final ouvert du premier opus, aucune suite aux aventures de Marty McFly n'avaient été prévues à l'origine, Bob Gale et Robert Zemeckis ayant...
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Hill Valley se tient comme un souvenir poli par le temps, mais un souvenir qui scintille encore, comme si la ville avait emprisonné dans ses pavés l’électricité d’un coup de tonnerre passé. Retour vers le futur 2 ouvre ainsi une faille qui n’est pas seulement narrative ; c’est une fissure dans le monde où la lumière et l’humour se mêlent pour scander un refus du fatalisme. Robert Zemeckis récuse ici la simple logique commerciale de la suite : il ne multiplie pas les séquences, il multiplie les temporalités et les regards, il tresse les instants afin que chacun d’eux réverbère sur les autres. Dès l’amorce, la caméra impose un mouvement qui n’est pas seulement de trajectoire mais d’oreille ; elle écoute le film autant qu’elle le montre et, dans ce geste d’écoute, elle révèle la foi d’un cinéma qui ne se contente pas d’expliquer le temps mais qui le fait palpiter.
La mise en scène de Zemeckis est à la fois instrumentale et charnelle ; les plans s’enchaînent comme des respirations et l’on perçoit à chaque raccord la précision d’un découpage pensé pour produire des émotions variables. Il y a des plans larges qui redessinent Hill Valley comme une topographie du désir, des cadres serrés qui captent la micro-physionomie des personnages, et des mouvements de caméra qui emportent l’œil sans le brusquer. Le montage, vif et sophistiqué, excelle à articuler les strates temporelles ; il ne se contente pas de juxtaposer des époques, il les met en écho, il les fait se répondre, et c’est dans ces résonances que naît la véritable intelligence du film. Les raccords entre 1955, 1985 et le 2015 fantasmé trouvent une musicalité propre ; l’effet de répétition est travaillé comme une variation, et chaque répétition enrichit la signification initiale au lieu de l’affadir.
Esthétiquement, le film joue sur un contraste volontaire entre hyperréalisme kitsch et inventivité formelle. Le futur rêvé par les années quatre-vingt, saturé de néons et d’objets conçus pour faire sourire, est filmé avec une netteté presque clinique qui fait resplendir l’artifice ; pourtant, cette artificialité n’est jamais vide puisque Zemeckis l’alimente d’un regard ironique et tendre à la fois. Les effets visuels, à leur époque révolutionnaires, sont intégrés à la narration comme des impulsions dramatiques ; ils servent la fable au lieu de la dévorer. La DeLorean devient davantage qu’un instrument : elle est un opérateur de sens, un acteur non humain qui transforme l’espace filmique à chacun de ses arrêts. Ses surgissements sont strictement chorégraphiés, et la lumière qui l’enveloppe se fait motif, signature et ponctuation.
La bande-son d’Alan Silvestri nourrit cette architecture ; son score, alternant cuivres triomphants et motifs plus intimes, sait simultanément grandir l’aventure et souligner les moments de doute. Silvestri ne cherche pas à impressionner par l’épaisseur sonore ; il compose des impulsions qui dialoguent avec la mise en scène, qui cajolent ou qui pressent les images. Le travail sur le son, dans son ensemble, participe à un sentiment d’immersion que Zemeckis revendique : bruitages, silences, réverbérations confèrent à la ville et aux voyages temporels une épaisseur physique et presque tactile.
Le jeu des acteurs contribue puissamment à l’équilibre du film. Michael J. Fox navigue entre l’espièglerie et une mélancolie sourde ; sa gestuelle, héritée du premier opus, a gagné en finesse : il est l’ado confronté au poids des possibles et à l’illusion de l’omnipotence, il porte la fragilité sous une carapace de bravoure. Christopher Lloyd, en Doc Brown, est une éclaboussure de génie et de pudeur ; son énergie bouillonnante se nuance, et lorsqu’il se tait, le personnage devient une figure presque tragique, un savant habité par la conscience des conséquences. Thomas F. Wilson, quant à lui, fournit une leçon sur la modulation comique : il décline Biff en plusieurs variantes — grotesque, menaçant, grotesque à nouveau — et ces transformations rendent visible la mécanique du pouvoir et du hasard qui traverse la fable.
Le scénario de Bob Gale et Robert Zemeckis est une machinerie subtile ; il hésite entre la rêverie pure et la logique du paradoxe, mais il parvient à faire se répondre la fantaisie et la rigueur. Les enjeux moraux ne sont jamais didactiques ; ils se logent dans les détails du quotidien, dans la manière dont un objet change de valeur selon l’époque, dans la façon dont un geste banal peut provoquer une conséquence abyssale. Le film adore jouer des causes et des effets, il y trouve un vertige qu’il transforme en source de poésie. En cela, il demeure un récit optimiste sans naïveté : il avoue la fragilité des utopies tout en célébrant la possibilité qu’une décision, même modeste, puisse infléchir les lignes de l’histoire personnelle.
Sur un plan technique, Zemeckis et son équipe maîtrisent la lumière avec une sensibilité quasi picturale ; les ambiances nocturnes, les éclairages fluorescents du futur, les demi-teintes des scènes domestiques composent un paysage de clairs-obscurs où le regard se perd volontiers. Le cadre lui-même devient langage ; les compositions portent une tension interne, de sorte que la géométrie des plans dit autant que les dialogues. Le rythme, alternant accélérations jubilatoires et suspensions contemplatives, évite la monotonie et confère au film une pulsation qui mime le battement du temps.
Ce qui distingue véritablement ce deuxième volet, au-delà de la virtuosité technique, c’est sa capacité à mêler le plaisir ludique à une mélancolie fondatrice. Le futur, moins séduisant que dans le souhait publicitaire, se révèle être une image réfléchie de nos peurs contemporaines ; la dystopie d’un Biff fortuné est moins une prédiction qu’un avertissement poétique, un miroir grossissant des fantasmes de réussite facile et des conséquences de la cupidité. Zemeckis transforme la comédie en fable éthique sans jamais sacrifier le rire ; il sait que la comédie peut être un outil de vérité, et il l’emploie pour faire sentir, en creux, la valeur des trajectoires ordinaires.
Le film est aussi un exercice de style sur la nostalgie ; il manipule la mémoire collective avec une finesse presque chirurgienne. En réutilisant des motifs visuels et sonores du premier opus, en replaçant certains plans sous un angle nouveau, la séquence devient un jeu de miroirs où l’on apprend à reconnaître nos propres réminiscences. Cette dimension méta-narrative n’est pas exhibitionniste ; elle cherche à rendre sensible l’aliénation douce du souvenir : l’enfance est revisitable, mais chaque retour laisse une trace différente. Marty, en explorant ses possibles, dévoile la part d’enfance qui persiste en nous — cette part qui refuse de se laisser entièrement avaler par le temps.
La comédie d’ensemble repose sur un équilibre de tonalités : Zemeckis oscille entre gag burlesque et ironie fine, il ne se contente pas du gag immédiat, il tend parfois vers le calembour visuel prolongé, vers la boucle signée qui fait mouche. Le film sait se montrer joueur, il multiplie les clins d’œil geeks qui font vibrer les spectateurs attentifs — objets improbables, technologies imaginées, prévisions de mode — et ces touches d’espièglerie servent à établir une complicité joyeuse ; elles donnent au film son côté fédérateur, celui qui transforme une projection en rituel collectif.
Malgré sa dimension spectaculaire, Retour vers le futur 2 garde une économie intime. Les motifs familiaux, les enjeux de filiation et la question du choix personnel restent au cœur du récit ; le film met en scène le désir de corriger non pas une époque mais un soi, et dans cette entreprise il affiche une tendresse constante pour ses personnages. L’émotion surgit dans les interstices, dans les regards qui se prolongent, dans les silences qui pèsent plus que tout discours. La mélancolie qui sous-tend le film est douce-amère ; elle laisse deviner une fin de cycle sans en retirer la joie première, elle donne une saveur de regret lumineux à l’entreprise.
Enfin, il faut saluer la manière dont Zemeckis nous offre un cliffhanger qui n’est pas un artifice commercial mais une promesse poétique ; la manière dont le film finit est une respiration prolongée, un point de suspension qui porte la suite non comme une nécessité mais comme une invocation. Cet achèvement laisse le spectateur dans un état d’attente fertile, persuadé que l’aventure peut se prolonger tout en étant transformée par ce qu’on vient d’y vivre.
Retour vers le futur 2 est ainsi une œuvre qui conjugue la virtuosité formelle et la tendresse narrative ; c’est un film qui joue, exulte, s’interroge et rassure. Il célèbre la puissance du cinéma vivant, cette capacité à construire des mondes assez cohérents pour y croire et assez fragiles pour nous émouvoir. À la sortie, on n’emporte pas seulement des images mais une conscience plus aiguë de ce que signifie « continuer » ; le film nous rappelle que le futur est un chantier sentimental et que le moindre geste peut en modifier la géographie. Il laisse, enfin, la sensation délicieuse et troublante que, quelque part au-dessus d’une colline ou derrière un lampadaire, une petite horloge continue de battre en rêvant aux routes qu’elle n’a pas encore vues.
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Créée
le 2 déc. 2025
Critique lue 88 fois
10
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