Maintenant que la première séance du Ciné Club SC nouvelle version est terminée, il me parait indispensable de passer par l'exercice de la critique afin d'apporter ma petite pierre à l'édifice en cours, mais aussi parce que je n'ai pas pu participer à la session Skype. Jusqu'à très récemment, "Wake in Fright" ne m'évoquait absolument rien si ce n'est une belle affiche et une très jolie moyenne globale sur le site. Après visionnage et quelques recherches sur le film, je crois que cette méconnaissance est symptomatique du destin du long-métrage de Ted Kotcheff, réalisateur canadien dont l'oeuvre la plus célèbre reste Rambo, premier du nom. En effet, si le film est présenté au compétition au Festival de Cannes de 1971 et bénéficie de nombreuses critiques positives de la part de la presse mondiale comme australienne, il n'en est pas moins un échec au box-office. Pendant près de quarante ans, l'oeuvre de Kotcheff disparaît du paysage cinématographie avant qu'une équipe, après de longues recherches à travers le monde, retrouve la pellicule. Le résultat est là, le film est aujourd'hui restauré numériquement, permettant ainsi une distribution sur DVD et Bluray, en 2014.


Alors qu'en est-il du film lui-même ? "Wake in Fright" est une formidable plongée dans le Mal, l'horreur et l'absurdité humaine. Adapté du roman du même nom de Kenneth Cook, on nous conte l'histoire de John Grant, jeune instituteur australien, de bonne éducation, qui est envoyé enseigner dans une bourgade reculée, où l'on ne trouve absolument rien et où il se passe rien. Une situation très mal vécue pour notre garçon et qui frappe par sa crédibilité : aujourd'hui encore, et en France même, combien de jeunes diplômés de l'Education nationale sont-ils envoyés aux fins fonds de nos académies, loin des leurs, loin des villes, centres de rayonnement culturels et intellectuels, où beaucoup ont fait leurs études ou ont toujours vécu ? On ne peut qu'être sensible au triste malheur de Grant, interprété par un Gary Bond que je ne connaissais pas encore mais dont le charisme fou ne m'a pas laissé indifférent ! Ainsi, notre héros n'aspire qu'à une chose, retrouver la civilisation, retrouver la ville et la vie, ainsi que sa petite amie pour de longues vacances. Sur le trajet de Sydney (et du bonheur ?), Grant se voit obligé de faire halte dans la bourgade de Yabba, avant d'attraper le vol du lendemain. Une halte qui marquera la vie du jeune homme, autant que la notre. L'instit' a beau être intelligent et bien habillé, il ne connait rien ni de la vie ni des modes de vie des "arriérés" du coin qu'il doit sans doute mépriser. Ainsi, après une étrange rencontre, il se laisse aller au rythme local, à coup de bières, de jeux d'argent et encore de bières. Abruti par la chaleur ambiante, un grammage d'alcool qui a de quoi faire passer Gérard Depardieu pour un homme d'église, ainsi que l'appât du gain, Grant gagne tout avant de tout perdre, et donc se retrouver coincé dans cette maudite bourgade.


S'ensuit la plus douloureuse, la plus destructrice et horrifique, descente aux enfers qui m'a été donner de voir. Loin de la civilisation, aux frontières avec que le désert infini, l'homme, livré à lui-même, peut-il survivre ? Reste-t-il homme, devient-il animal ou peut-être un peu des deux ? Autant de questions qui sont mises en avant par le film.


Lors de la production du film, le scénariste Evan Jones contacte un jeune réalisateur qu'il connaissait déjà et qu'il pense parfait pour le rôle : Kotcheff. A l'époque, celui-ci, jeune hippie à cheveux longs, était marqué par les successions d'images violentes et absurdes venues de la guerre du Vietnam. Autant dire que "Wake in Fright", une oeuvre qui traite de l'absurdité humaine, tombait à pic pour lui. Il s'empressa alors de partir en éclaireur à travers l'Australie, vivant au jour le jour avec un mode de vie pas très éloigné de celui du film. Pouvait-on rêver d'une meilleure base pour la production d'un tel projet ? :-)


Plus qu'à son histoire, le film s'intéresse à filmer la réalité de la nature, de l'action humaine et des sentiments, filmant tantôt un jeu d'argent, tantôt une amitié naissante, tantôt une chasse cruelle à l'animal... Je me suis d'ailleurs demandé pendant le film si le réalisateur dénonçait les violences faites à l'animal, les vulgarités d'une société masculine, les addictions au jeu, à la baston et à l'alcool. Mais non, Kotcheff n'est pas ici un procureur. Il filme simplement la réalité des "outbacks" australiens, ces campagnes arriérés où les hommes n'ont rien d'autre à faire que se taper dessus, boire et chasser. Une vie absurde, où la liberté n'a finalement que peu de sens. Mais c'est une vie crédible qui nous est montrée, et c'est sans doute ça qui est le plus effrayant.

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le 3 mars 2016

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Halion

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