Tout le monde connaît l'immense talent du ténor Pavarotti, et ce n'est certainement pas moi, qui n'y connait pas grand-chose en cette matière, qui vais le contester, surtout que mes sens de profanes ne m'ont en rien interdit de me délecter de ses vocalises puissantes ; mais personne, cependant, ne m'avait prévenu qu'il était également un excellent acteur. Jouisseur, c'est le mot qui vient à l'esprit ; mais au mauvais sens du terme ; un jouisseur glouton, vorace, monstrueux en somme ; sans égard pour ce qu'il goûte, tout entier pris dans son seul plaisir de carnivore insatiable. Les souffrances, les humiliations, les peines de chacun : tout s'écrase, tout disparaît ; tout n'est que prétexte à rire, pour lui. Et l'on voit dans ses yeux, dans les yeux de l'acteur Pavarotti, dénués d'humanité, proprement terrifiants tant ils nous semblent manquer leur sujet (lequel serait, en quelque sorte, la souffrance de l'autre), une jubilation d'autant plus démoniaque qu'elle est innocente : c'est un puissant, tout lui est offert, il ne fait que profiter ; pourquoi compatirait-il ? il n'a pas été éduqué, fabriqué pour ça. En ses yeux, toute une dénonciation.


Mais Pavarotti ne doit pas éclipser l'autre belle découverte (pour moi, en tout cas) de cet opéra filmé, à savoir Edita Grubevora, que je ne connais absolument pas, mais dont, depuis, je ne cesse d'admirer cette infinie douceur qu'elle peut donner à sa voix ainsi que la maîtrise parfaite des modulations dans ses différentes interprétations. Ce ne sont là que des remarques de profane, encore une fois, mais elles ont vocation à dire un plaisir qui n'a pas encore les mots adéquats pour se dire. En tout cas, à dire une admiration.


Enfin, vraie question : l'opéra peut-il être filmé ? Ce film-là m'apporte malheureusement une réponse négative. Il y manque un élément : le public. Ou plutôt : une caisse de résonnance. La voix pure souffre de ne pouvoir s'épancher dans un espace immense qui lui ferait face. De plus, l'opéra est l'artificialité faite art, plus encore que le théâtre, dans lequel des restes de réalisme peuvent encore s'immiscer. L'opéra n'a absolument pas vocation à être réaliste, ou en tout cas pas dans le sens commun de ce terme. Le dispositif doit s'afficher comme dispositif de mise en scène, ce doit être un réalisme de la scène, calquée sur la réalité de l'artifice, la réalité de la représentation en tant que représentation. Or, la fausse fluidité imposée par le montage, qui permet certes de tourner en décors clos, et de pallier aux énormes difficultés que commandent certaines idées, contrevient à ce principe, en ôtant aux éléments de la représentation leur incarnation concrète, ce qui, du coup, les... déréalise : la voix chantée, privée de sa scène et de son public, n'est plus que son extra-diégétique, mélodie désincarnée qui vit seulement en elle-même et non dans un milieu, où subsisteraient en arrière-plan d'autres sons (sons d'ambiance, de mouvement, d'objet, même de respiration ou de toussotement dans le public). Elle perd ainsi de son pouvoir, de sa présence (en des proportions relatives, évidemment ; nous sommes en présence de grands chanteurs ; disons plutôt qu'ils sont mal placés).


Mais tout, du coup, n'est peut-être pas perdu ; ces remarques dessinent peut-être une voie possible : que donnerait un film qui respecterait le réalisme du milieu d'expansion de la voix, et intégrerait ainsi tous ces détails (degré de proximité et d'éloignement, présence des autres sons, etc.), lorsque ce milieu ne serait pas la scène ? Qu'aurait donné, par exemple, la scène finale, où l'on se trouve en plein milieu d'un lac, si la voix, et même l'orchestre (soyons fous), avaient été enregistrés à même ce lieu ? Ca reste à expérimenter ; car cette expérience-ci, en tout cas, celle de ce film-là, n'est pas concluante. Désespérément, tout, du jeu des acteurs à leur chant, de leur danse à leurs expressions, appelle la scène, le public, le vide de la salle, la résonnance de l'espace, l'artificialité du théâtre, la véracité du faux.

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le 2 déc. 2020

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