Intro


Le film s'ouvre sur un premier plan après le générique, extrêmement modeste, qui annonce le projet du film.

C'est une porte qui s'ouvre, et un personnage qui entre discrètement dans un saloon, semblant s'excuser. En avançant lentement, il nous fait découvrir la population de Rio Bravo.


Cela représente un contrepied par rapport au western classique : le film ne s'ouvre pas sur un vaste espace, mais sur un plan américain, bouché dans sa profondeur par un mur de bois. Il ne commence pas avec un héros ou une communauté, mais avec un personnage solitaire et humilié : Dude. Celui-ci continue de sombrer jusqu'à l'arrivée de John Wayne à l'écran, dans un plan en contre-plongée. John Wayne est le contraire de Dude : droit, avec une expression opposée à la résignation. L'émotion est à la fois puissante et subtile : John T. Chance est en colère et dégoûté de voir cet homme se dégrader au sol.


Ce plan est ce qui me fait aimer "Rio Bravo". À ce moment précis, ce qui révolte John T. Chance n'est pas la trahison anticipée de son ami, ni même sa faiblesse ni la cruauté de son bourreau. Non, ce qui le révolte, c'est que l'humiliation d'un homme c'est l'humiliation de l'Humanité. C'est la possibilité même de cette vexation qui est indigne.



Le devoir de l'Homme est de se dresser



Avec tout ce que ce principe peut avoir de désuet et critiquable, retrouver sa dignité, c'est aussi retrouver sa virilité (Dude s'est fait larguer par sa femme, il doit se relever... John Wayne lui rend ses pistolets, qu'il avait dû mettre aux clous... - un moment très émouvant d'ailleurs). Du côté des femmes, on ne va pas refaire l'histoire, mais c'est assez indigent. On a une pute qui doit apprendre à ne plus l'être, et Stumpy, le vieil édenté, qui fait office de figure maternelle pour le groupe de héros (peut-être que passé un certain âge, on perd tellement de virilité que l'on devient une femme ?).


Dans le second saloon, la dynamique de ce Monde s'inverse : John T. Chance tourne sur lui même comme une toupie pour frapper le méchant d'un coup de crosse et ainsi déclencher une révolution qui animera, par inertie, l'ensemble des compagnons du héros.

Le reste du film suit ce principe. En gros, ce qui est glorifié n'est plus la conquête de territoires, mais la défense de sa dignité.


Dans "Rio Bravo", on se demande si les personnages sont "Good Enough", et c'est parce que les habitants de Rio Bravo ne sont pas jugés assez compétents que John T. Chance refuse leur aide. Parce que John Wayne est, par nature, un professionnel. C'est un acteur professionnel particulièrement compétent, et son personnage agit comme tel. Les héros de "Rio Bravo" ne sont pas motivés par la gloire, ni même par leur survie. Ils ne se battent pas pour eux ni pour la patrie. Ils font avec ce qu'ils ont et ce qu'ils sont : leur devoir. "Rio Bravo" est un exemple parfait de la thématique "Deviens ce que tu es".


Ce qui séduit dans le film, c'est précisément que faire de son mieux ne signifie pas être un prouveur. Par exemple, le personnage du jeune premier, vierge parmi les vétérans, est accepté dans le groupe de T. Chance précisément parce qu'il ne cherche pas à faire le fier. Il ne montre pas ce qui devrait être démontré, il fait ce qui doit être fait.


C'est la démarche même d'Hawks en tant que cinéaste. Dans la célèbre scène de la goutte de sang dans le verre d'eau, rien n'est démonstratif. S'il utilise deux fois un joli plan en contre-plongée pour montrer la menace qui plane sur le groupe, c'est parce que c'est nécessaire à la tension de la scène et à la compréhension des enjeux pour le spectateur. Et même ce truc du sang dans le boc de bière, c'est cool, ça marque... Mais c'est aussi une manière très économe et efficace de faire comprendre que l'homme blessé est bien là et qu'il se trouve en hauteur, juste au-dessus de Dude. Ce n'est donc pas un truc de prouveur, pas non plus juste un choix d'esthète, c'est aussi un choix d'économiste. Howard Hawks prend soins de ne pas confondre la coquetterie et la classe


De même la confrontation finale pour libérer l'état de siège, celle qu'on attend avec impatience au bout de 2 longues heures, se limite à quelques plans en simples champ-contrechamp. Un final assez sec qui n'est là que pour conclure un discours et pas assouvir un besoin de soulagement par le spectateur.



Sur ses appuis. Sur place



"Rio Bravo" tourne en rond sur ce sujet. Les personnages parlent, se déplacent d'un bout à l'autre de la rue et des lieux, toujours en faisant avancer ces révolutions intérieures. La transformation ne peut se faire qu'en eux, sur place.


Certains peuvent trouver cela beau et grand. D'autres trouveront que le film chiant. Car els enjeux, ben en fait quand on se sent pas follement concerné par le problème de la dignité virile, ils sont un peu et surtout volontairement faibles :

Les méchants ne fascinent pas, ils ne suscitent pas d'intérêt réel. Leurs motivations ne sont pas questionnées, ils ne sont même pas des personnages, mais plutôt un obstacle, une force opposée qui impose une contrainte à la communauté. Ils sont comme la rupture de Dude avec son ex-meuf : un événement à traverser avec dignité. L'incivilité existe, c'est un fait. La question pour la communauté est de savoir comment les Hommes doivent et vont y répondre.

Pour autant, il y a quelque chose de beau avec eux, par exemple lorsque lors de la fusillade, Feather (la prostituée) fait diversion pour permettre à John T. Chance et au minet d'abattre les bandits. Juste après, elle est prise de remords. Le film se soucie du chagrin et de la pénitence que l'usage de la violence provoque chez les héros qui combattent. Être humain, c'est être grand par ses émotions.


Pour ma part, j'ai trouvé le film un peu ennuyeux, et je pense que le temps a fait perdre de sa force à ce film considéré comme un pilier de l'histoire du cinéma. Il a peut-être surtout été un appui nécessaire et important (objectivement solide) pour la construction d'une cinéphilie elle-même en recherche de respectabilité.

Dlra_Haou
7
Écrit par

Créée

le 26 sept. 2023

Critique lue 11 fois

Martin ROMERIO

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