1. Alors que le jeune James Cameron vient de définir en seulement deux films la nouvelle science-fiction hollywoodienne, un réalisateur étranger à la réputation aussi sulfureuse que controversée, livre son premier produit américain : un film de science-fiction au pitch simpliste, ridiculement intitulé Robocop. Si d'aucuns y voient une énième tentative de surfer sur le succès du Terminator de Cameron, les premières images du film du Hollandais violent révèlent très vite la supercherie. Libre de tout compromis artistique, Verhoeven adaptait un sujet de SF classique à sa vision hautement corrosive d'une société américaine ultra-capitaliste dirigée par des financiers cyniques et gangrenée par une criminalité débridée. Ce qui fut conçu au départ comme une simple série B devint sous la caméra de Verhoeven un authentique chef d'oeuvre du genre dont l'ironie et la violence outrancière, participèrent à lui conférer une place à part dans le panorama cinématographique des 80's. Suivirent très vite une première suite, respectueuse du propos et du ton de son modèle, et un troisième opus indigent et indigeste qui condamna la franchise pendant plus de vingt ans à des adaptations télévisuelles low-cost et déjà oubliées.


C'est finalement en juillet 2008 que la MGM rendit officielle le projet d'un quatrième Robocop au cinéma avec aux commandes Darren Aronofsky. Le réalisateur visionnaire de The Fountain mit très vite les choses au point : son Robocop ne serait ni une suite ni un remake du film de Verhoeven mais plutôt une nouvelle variation de son sujet. Il faut savoir qu'à cette époque Aronofsky vient de triompher au box-office avec The Wrestler, juste après avoir dû renoncer à un projet qui lui tenait particulièrement à coeur, le reboot de la franchise Batman. Après avoir travaillé de longs mois sur la résurrection à l'écran du Chevalier Noir avec pour projet de conférer à ses aventures une approche réaliste tout à fait innovante pour l'époque, la Warner mit un sérieux coup de frein à ses aspirations, l'obligeant du même coup à quitter le projet qui sera très vite récupéré par Christopher Nolan pour donner le Batman Begins que nous connaissons. Autant dire qu'Aronofsky est plus déterminé que jamais à concrétiser sa propre version d'un des grands classiques de son enfance. Il travaillera un an et demi sur le projet, réussissant l'exploit d'obtenir de la MGM une classification R (interdit aux mineurs) de son nouveau Robocop dont l'intrigue se déroulera à Los Angeles et sera finalement une suite indirecte du film de Verhoeven. Pourtant, le projet tarde à se concrétiser, le tournage et la date de sortie sont sans cesse repoussés. Courant 2010, Aronofsky informe la presse qu'il passe la main, refroidi par les déboires financiers d'une MGM de plus en plus frileuse question budget. Tant pis, le cinéaste consacrera toute sa hargne et sa frustration sur son Black Swan, un projet moins ardu à concrétiser, le tournage débutant très vite après l'abandon de Aronofsky de son projet de remake.


Mais ce reboot ne fut pas abandonné pour autant par la MGM, le studio annonçant quelques mois plus tard, en 2011, le relancement de son projet. Avec un budget de 100 millions de dollars, une classification PG-13 et un jeune réalisateur brésilien à la barre, autant dire qu'il y avait de quoi s'inquiéter pour les fans de la première heure (dont l'auteur de ces lignes fait partie). Et les nombreuses rumeurs circulant sur le net concernant un tournage chaotique n'arrangèrent évidemment pas les choses. D'autant que le remake friqué de Total Recall, autre fait d'arme de Verhoeven, s'était avéré particulièrement décevant.


Sauf que José Padhila n'est pas un simple tâcheron comme Len Wiseman. Si Padhila fut choisi pour réaliser ce remake, c'est avant tout grâce à son excellent diptyque Tropa de elite, véritable immersion dans l'enfer des favelas et dénonciation de la corruption et de l'hypocrisie qui y règne. Ce n'est donc pas un hasard si l'on retrouve le même sous-texte dans ce nouveau Robocop prenant le point de vue d'Alex Murphy (Joel Kinnaman), un jeune père de famille et flic intègre, confronté à la corruption de ses collègues et à une violence omni-présente. Parce qu'il fait trop bien son boulot, le personnage devient vite la cible d'un attentat à la bombe le laissant quasiment pour mort. Parallèlement, un industriel tente de contourner une loi sur la robotique en proposant son premier prototype de cyborg pour conquérir le marché américain. Et il portera très vite son choix sur le moribond Murphy pour servir de cobaye.


Alors certes, on ne retrouvera jamais dans ce remake la violence outrancière qui participait grandement à l'identité du film (et de la filmographie) de Verhoeven. Preuve en est, cette mise à mort de Murphy, aussi soudaine que radicale, et contrastant de manière évidente avec l'exécution traumatisante du personnage dans l'original. Devant composer avec les impératifs de ses employeurs, José Padhila a certainement dû freiner ses ambitions et amortir la violence d'un métrage pourtant riche en scènes d'action numérisées (et donc aseptisées, époque oblige).


On pourra dire que ce remake n'avait pas besoin de la violence du film original pour exister. Bien sûr que non, mais c'est aussi pour ça qu'il ne se hissera jamais à son niveau. Car quoi que l'on puisse prétendre, les débordements gores du Robocop de Verhoeven s'inscrivaient dans une logique satirique et émotionnelle parfaitement assumée, conférant à l'ensemble une atmosphère de folie meurtrière qui répondait allègrement aux dérives sécuritaires de l'Amérique d'alors. Une violence graphique thématiquement nécessaire qui allait de paire avec un humour noir jubilatoire, Verhoven arrivant comme aucun autre avant et après lui à maintenir cet équilibre précaire qui fait toujours toute la force de son chef d'oeuvre.


Autant dire qu'il était impossible pour José Padhila de seulement tenter de renouer avec l'esprit frondeur de l'original. Nouveau venu à Hollywood comme Verhoeven en son temps, Padhila ne fait finalement qu'actualiser le propos politique de son aîné tout en faisant l'effort de ne pas trop le policer pour autant, ce qui reste remarquable en soit. Il nous livre ainsi sa vision dénonciatrice et plutôt couillue d'une Amérique belligérante (situation de guerre au Moyen-Orient) et des travers d'une époque hyper-consumériste conditionnée par des instances médiatiques peu scrupuleuses (Pat Novak et ses flash-infos qui font évidemment échos aux faux JT du film original). Murphy devient à nouveau sous sa caméra l'enjeu primordial d'un marché financier à conquérir, un humain que beaucoup ne voit plus que comme un simple prototype, un vulgaire produit marketing voué à créer le buzz et à s'effacer sous le poids de son héritage. Renouant quelque peu avec les thèmes et la critique distanciatrice de son modèle (à la différence qu'il se moque souvent plus qu'il n'égratigne), le scénario arrive même à en moderniser intelligemment la charge anti-corporatiste via le seul personnage de l'industriel Raymond Sellars, sorte de combinaison entre Bob Morton, Dick Jones et Steve Jobs, uniquement préoccupé par l'idée de séduire les masses de futurs consommateurs qui se bousculent au pied de sa tour et sur les réseaux sociaux. Absent depuis trop longtemps des écrans (et avant de devenir le Birdman), Michael Keaton se révèle ici parfait en magnat aussi cynique que séducteur, toujours prompt à retourner sa veste selon la tournure que prennent les sondages. Là où le bât blesse c'est le traitement un peu facile que lui réserve une intrigue finalement dénuée de véritable antagoniste, un comble quand on repense au nombre de crevures d'envergure que comptait le film original. Ne cherchez donc pas l'ombre d'un Clarence Boddicker ou d'un Dick Jones ici, il y a certes beaucoup de pourris mais (PG-13 oblige) à l'instar de Sellars, ils gardent à peu près tous les mains propres durant l'essentiel du métrage.


Face à Keaton, et outre la présence du toujours excellent Gary Oldman, on regrettera simplement la platitude du jeu d'un Joel Kinnaman pas toujours à l'aise, que ce soit dans son étroit costume (on le comprend) ou dans les scènes de pure émotion qui ne manquent pas ici. Padhila ayant visiblement à coeur d'étudier (dans un premier temps) les tourments de son personnage, l'intrigue de ce remake se consacre notamment un peu plus au background familial de Murphy, là où Verhoeven l'éludait volontairement pour n'en garder que quelques images heureuses hantant l'esprit de son robot. En résulte quelques scènes intimistes et un personnage d'épouse qui peine néanmoins à exister autrement que comme un simple ressort scénaristique (elle donne son accord, pleure beaucoup et sert finalement d'otage).
La scène la plus mémorable et émouvante reste évidemment celle où Murphy découvre ce qui reste de son corps sous son armure (presque rien) et implore ensuite son sauveur de l'euthanasier pour ne pas avoir à affronter le regard de sa famille. Une idée remarquable doublée d'une image terrifiante, l'homme réduit à néant sous un exosquelette de kevlar et de métal. Une scène-choc qui questionne à elle-seule le degré d'humanité restant du personnage principal. Oppressé par une I.A. prenant le relais lors des phases d'affrontements, Murphy devra par la suite, tout comme dans le film original, lutter contre une programmation aliénante et contre ses maîtres pour retrouver son libre arbitre et affirmer son humanité. Il est alors dommage que le film ne développe pas plus intelligemment cette dualité homme-machine, le scénario ne creusant d'ailleurs jamais vraiment les thématiques passionnantes qu'il aborde dans sa première moitié. Mais après tout, nous ne sommes ni chez Verhoeven, ni chez Scott, ni chez Oshii.


Reste le talent indéniable d'un réalisateur parfaitement à l'aise dans l'action (remarquable utilisation de la caméra portée) mais qui paradoxalement, peine à livrer un authentique morceau de bravoure apte à marquer durablement les esprits. Et ce n'est certainement pas ce climax décevant et un rien bazardé qui viendra contenter les spectateurs en manque de sensations fortes. Quant aux nostalgiques du film de Verhoeven, ils pourront se moquer de ce(s) grotesque(s) ED-209 tout en pixels qui ne rivalisent jamais avec l'inoubliable version en stop motion de Phil Tippet. (I want my ED !)


Handicapé par un scénario bancal, un trop plein d'effets numériques et des desideratas aléatoires (et je passe sur le score du film qui cite de manière totalement gratuite la partition géniale de Poledouris sans jamais en comprendre le sens), Robocop 2014 n'aura finalement pas convaincu grand-monde, si l'on en croit un accueil mitigé et des résultats insatisfaisants au box-office. Ce qui suffit amplement aux yeux des financiers de l'OC... de la MGM, à classer ce remake sans suite pendant au moins deux décennies. Plutôt dommage finalement, car même s'il ne rivalise jamais avec l'excellence de son modèle, les quelques qualités formelles et narratives de ce Robocop, ainsi que l'audace de son propos, le placent tout de même un cran au-dessus de la plupart des reboots du même genre.


Pour ma critique du film de Verhoeven : http://www.senscritique.com/film/Robo_Cop/critique/34045059

Créée

le 15 juil. 2015

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Buddy_Noone

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