Un duo de choc



Il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine, très lointaine Rogue One eut été un chef d’oeuvre. Malheureusement Disney en a décidé autrement. À coup de coupes et reshoot, le film, autrefois dirigé par un certain Gareth Edwards, est revenu à Tony Gilroy. Un étrange mélange se fait alors ressentir : à moitié style du premier (le jeu sur les échelles de plans, sur le gigantisme), à moitié patte du second (le montage haché, l’usage de la caméra épaule). Tout était maintenant réuni par le manitou aux grandes oreilles pour délivrer un film propret, gentil comme tout. Heureusement pour nous, tout n’est pas toujours aussi facile. Parfois un grain de sel s’immisce dans la machine qui semble parfaitement huilée. Ce grain de sel n’est pas là pour dérégler cette mécanique, loin de là. Il est peut-être présent pour rendre le film meilleur. Après tout, rien ne nous dit que cette director’s cut de Gareth Edwards aurait donné un chef d’oeuvre…


Ainsi, quand Disney a mis en chantier Rogue One, l'optique était de faire un spin-off qui se dégagerait de la trame principal de Star Wars = faire du fric en rentabilisant une franchise. « Se dégager » est un bien gros mot (ça en fait même deux.) puisque l’épisode se déroule pile entre les épisodes III et IV - soit le dernier épisode de la prélogie et le premier de la trilogie originale…
Gareth Edwards et Tony Gilroy ont donc dû ouvrir le bal des spin-off estampillés Star Wars. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils n’y sont pas allés de mains mortes ! Malgré les reproches qu’on a pu lui faire (une première partie désastreuse, des personnages non-attachants), j’ai ressenti ce que je n’avais pas ressenti devant un blockbuster américain depuis belle lurette. Une réelle sympathie s’est créée grâce à la mise en scène très inspirée, à un scénario qui mène au plus grand final que j’ai vu depuis quarante ans, aux soins apportés aux décors et aux costumes et aux comédiens (merci au charme de Felicity Jones, merci au charisme de Ben Mendelsohn, merci à l’accent mexicain de Diego Luna - outre cette remarque extrêmement raciste, j’ai vraiment trouvé Luna et son personnage attachant). En effet, la magie s’opère au visionnage du film. Et pour cause, je suis allé le voir trois fois… Autant dire que le film m’a pris dans tous les sens => https://www.youtube.com/watch?v=ySkafsRm9po


Je vous préviens tout de suite, ma critique comprendra énormément de spoils. Ceux qui n’ont pas vu le métrage, je les invite à aller le voir (ne prenez pas cette invitation au pied de la lettre, ce n’est pas vraiment moi qui vais vous offrir la place de ciné), les autres, lisez-moi si voulez - après tout je ne vous oblige en rien à lire cette critique de piètre niveau.



Un spin-off contrarié



En cette qualité de spin-off, Rogue One doit donc trouver son identité tout en laissant entrapercevoir l’univers créé par George Lucas. Voilà donc pourquoi Gareth Edwards et son comparse de reshoot (dont j’arrêterai de citer le nom parce que j’ai la flemme) n'ouvrent pas leur film par le traditionnel déroulé habituel des Star Wars. Pareil pour John Williams qui est remplacé par John Williams. Attendez, il y a un problème… Ah voilà, c’est réglé. Je disais donc : John Williams qui est remplacé par l’ersatz de John Williams, Michael Giacchino. Aussi, quand le titre du film apparaît après la séquence d’ouverture, il n'est écrit à nul moment Star Wars mais seulement Rogue One. C'est donc ici que le film va être intelligent. Ah oui, j’oubliais de vous préciser. Ça ne se voit peut-être pas jusqu’à présent mais je vais être hautement dithyrambique sur ce film que j’ai trouvé magistral. (Merde, je viens de perdre mon dernier lecteur)


On sait tous que Rogue One ne peut se défaire du fait qu'il appartient à l'univers Star Wars, c'est d'ailleurs ce qui fait en son charme - notamment à la fin du film. Le long-métrage d’Edwards fait donc des références aux anciens films : de la trilogie originale (C-3PO et R2-D2 dans leur meilleur performance de fan service, les deux passants de Jedha City, certaines répliques) à la prélogie (le sénateur Organa, la planète Mustafar où habite Vador) en passant même par Star Wars Rebels (avec le personnage de Saw Gerrera aka Forest Whitaker, l’homme qui savait surjouer). 



Une mythologie Rogue One



Dans le même temps, Rogue One va forger sa propre mythologie. Car oui, disons-le tout de suite, Rogue One est un « métafilm ». On emploie les grands mots ici. Un détail permet de le confirmer. Le détail n’est d’ailleurs jamais anodin dans une oeuvre d’Art mais ce n’est pas le moment de se la frimer Arasse et compagnie (ici, une photo de Daniel Arasse après deux, trois verres). On est quand même entrain de parler de Star Wars. C’est autre choses que tes merdes de De Vinci et de perspectives, Daniel. Je disais donc un élément du film permet de confirmer cet aspect « méta ». Ce détail provient d’un échange de répliques avant la bataille finale. Au moment où Jyn et ses Rebelles (ce n’est pas le titre d’un rip-off porno de Rogue One) sont sur le point de quitter la base de Yavin 4, Bodhi - l’ancien pilote impérial (interprété par Riz Ahmed qui emporte toute ma sympathie en deux scènes et demi) - s’entretient avec un rebelle par interphone interposé. Le dernier demande au premier le nom de son commandement. Bodhi répond « Rogue One ». Le rebelle rétorque « Ça n'existe pas Rogue One ». Le jeune pilote n'en a que faire, il allume les moteurs de son nouveau bolide et se casse avec sa clique du ter-ter. K-2SO - qui incarne le renouveau du rap français #PNL #MHD - ajoute alors « Maintenant ça existe ». Et oui, plus que l’équipe « Rogue One », c’est le film Rogue One qui existe et va falloir s'y faire.



Une histoire de finesse



Le dernier tiers du film va achever ce constat ! Si je parle en tiers, c'est parce que le film se divise en trois temps. J’en entends déjà râler « Bouh, trois actes ! C’est de la merde. Hollywood nous ressert toujours la même soupe ? ». Ce à quoi je réponds « La soupe aux légumes ? »


La vallée dérangeante


#PrincesseLeia #MoffTarkin


Pour une fois, j’ai réellement l'impression que ces trois actes ont été réfléchis. Le côté « méta » va ressortir de cette schématisation purement hollywoodienne, transcendés par une mise en scène inspirée et un scénario pas si mauvais. Tout d’abord, voici les trois temps : 1) Du début à la destruction de Jedha City ; 2) Eadu et la mort du père, Galen Erso (joué par le français Michael Kohlhaas) ; 3) La bataille de Scarif.


J'ai beaucoup entendu parler de spectateurs qui mettaient en avant les raccords bizarres du début du film. Il est vrai que l'ouverture est abrupte. On nous balade de planète en planète, on nous montre des personnages qui n'ont rien à voir et c'est monté assez bizarrement, sans aucune cohérence. Cette première partie trouvera sa résolution et son écho dans le troisième temps où les raccords entre chaque champs de bataille (la plage, l'espace, la tour de Scarif) se font naturellement par des coups de feu, des affrontements très chorégraphiés, des mouvements de caméra (je pense notamment à ce panoramique bas / haut dans l’espace qui trouve sa continuité dans un même mouvement avec celui de la tour qui regroupe toutes les archives du CNC). En effet, chaque partie de Rogue One répond, nourrit la précédente et la suivante. Ces raccords bizarres du premier temps qu'on aurait dans un mauvais film choral sont en fait représentatifs du bazar qui règne dans le camp des Rebelles. Personne ne travaille en équipe, chacun est dans son coin alors que tous les personnages ont finalement le même but (cf. Cassian Andore qui tue lâchement un de ses “indics“ - donc un autre rebelle - en début de film).


C'est dans le deuxième temps sur Eadu qu'on a la conclusion de ce bordel chez les Rebelles. Personne ne se parle vraiment, tout est désordonné, effectué dans la panique : Cassian et Bodhi partent de leur côté ; Jyn se rend, seule, rejoindre son père sur la plate-forme ; Chirrut (Donnie “Punchline“ Yen) et Baze (le gros du duo… Parce qu’il y a toujours un gros.) quittent le vaisseau ; l'Alliance lance une attaque alors que des rebelles sont encore présents sur les lieux. C'est le bordel, la mission échouera et coûtera la vie au père de Jyn. Car oui, si l’on peut trouver, dans un premier temps, la mort du père gratuite, elle est surtout là pour signifier la débâcle de l’Alliance, incapable de se coordonner pour mener une mission d’infiltration. Deux scènes plus tard, cette discorde au sein des Rebelles trouvera son apogée lors de la réunion où Jyn évoque l'idée de lancer une attaque sur Scarif pour récupérer les plans de l'Étoile de la Mort (ou Noire c’est comme vous voulez). Bien évidemment, l’Alliance ne trouve, encore une fois, aucun accord (Jyn a trop pris la confiance en deux minutes), l'attaque n'aura pas lieu... dans un premier temps. 


C'est ici que le film va redoubler d'intelligence. Là, où Star Wars VII refaisait Star Wars IV, Rogue One remakes Rogue One. On parlait du côté « métafilm » avec ces actes qui se répondent entre-eux, c'est exactement ce qui produit avec le troisième temps du film sur la planète Scarif. En effet, ce troisième acte rejoue le deuxième sur Eadu : des combats au sol et dans les airs, une même mission d’infiltration, Jyn qui ne peut s’empêcher de grimper sur des trucs pour atteindre un sommet (sur Eadu, une échelle ; sur Scarif, la tour). La seule différence, c’est que sur Eadu (où il pleut) rien n'était préparé, tout était précipité alors que sur Scarif (où il fait beau), c'est tout le contraire. L'équipe est maintenant créée, soudée et bosse ensemble. Le vol des plans réussit donc. 



Le lien



Et c'est là que repose l'essence même de Rogue One, l'esprit d'équipe. Chaque chaînon de l'Alliance possède son importance. C’est dans cette entre-aide, dans ce sacrifice collectif que se crée la force de Rogue One : le « lien ». Le dernier tiers - avec ses raccords qu'on disait naturels, fluides - et plus précisément la dernière séquence en sont de parfaits exemples. Dans un couloir d’un vaisseau, un membre de l'équipage Rebelle récupère les plans de l’Étoile de la Mort Noire qu'il donne à un autre membre, avant de se faire tuer par Dark Vador. Ce membre de l’équipage fait de même et ainsi de suite jusqu’à ce que les plans atterrissent dans les mains de… la princesse Leia. Cette séquence cristallise le problème (mais qui n’en est pas un à mon sens) de Rogue One.


Malgré cet effort « méta », le film est obligé de se heurter à la puissance universelle que représente Star Wars. Dark Vador incarne, au sens propre comme au figuré, cette puissance universelle. Lorsque le spectateur le voit (et je m’inclus dans ce spectateur… pas au sens propre cette fois), il est obligé de penser à tout ce que représente Star Wars depuis 40 ans. Rogue One, ce n’est finalement qu’une partie nouvelle de cette grande aventure qu’est Star Wars. Cette tentative « méta » de se regarder (centripète) pourrait alors se heurter à la magie qui entoure le métrage (centrifuge). Il est clair qu’un spectateur n’ayant jamais vu de Star Wars ne ressentira pas ce même souffle coupé qui m’a envahi en fin de film. Voir ce couloir aux lumières blanches - où tout a commencé 40 ans plus tôt dans Un Nouvel espoir - dépasse le métrage de Disney.


Cependant, pour moi, c’est ici que repose la principale réussite du film. Certains ne seront pas de cet avis mais je trouve qu’Edwards a trouvé ce parfait juste milieu entre « méta » et grande saga du cinéma. Plus que ça, le côté « méta » de Rogue One devient le moteur de la puissance Star Wars. Finalement, ce que j’apprécie le plus dans ce film, c’est de voir les wagons parfaitement se raccrocher entre l’épisode 3 et l’épisode 4 du bébé de George Lucas. Un plan crée concrètement ce « lien » : celui où dans le vide intersidéral, en un panoramique gauche / droite, Edwards délaisse la planète Scarif en bas à gauche du cadre (représentant les héros de Rogue One) pour se concentrer sur les vaisseaux de l’Empire qui se dirigent vers la corvette de Leia (les protagonistes des “vrais“ Star Wars), sur le haut droite du cadre, après le mouvement de caméra effectué. Ce plan contient l’essence même du film : à la fois Rogue One / « Méta » / Centripète et Star Wars / créateur de liens / Centrifuge. Michael Giacchino opère d’ailleurs ce même changement dans sa composition musicale (Your Father Would Be Pround), délaissant le thème de Jyn pour une reprise de celui de l’Empire à la Williams en fin de morceau. D’ailleurs, là où Williams faisait peine à entendre dans Star Wars VII, Giacchino m’a redonné espoir ! L’espoir, il en est d’ailleurs question dans Rogue One, c’est même sur cela que la princesse Leia clôt le film en disant que la base de toutes rebellions est « l’espoir ». Elle a tort. Plus que l'espoir, le ciment de cette rébellion, c'est le « lien » - on en revient toujours à la même chose ! - entre ses membres : du pauvre gars qui met du carburant dans un X-Wing aux pilotes qui détruiront l'Étoile. Et ça c'est « méta » : le lien qu'opère chaque membre rebelle en se donnant les plans de l’arme de l’Empire, c'est le même lien qu'opère le film en raccrochant les wagons de la prélogie, tant décrié, à ceux de la trilogie originale. Rogue One, c'est finalement le chaînon manquant. 

Simon_Bachou
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le 8 janv. 2017

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Simon Baïchou

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