Alors que fainéantise et absence d'ambition caractérisent les futurs projets de spin-off annoncés (en attendant plus de précisions sur la trilogie de Johnson), Rogue One et son influence semblent être plus problématiques que jamais. Véritable résurrection pour ceux qui bien trop souvent reprochaient à Abrams un fan service doublé d'un manque d'originalité, le film de Gareth Edwards ne cesse de me frustrer au fil du temps. Impossible d'y voir un film raté, seulement un Star Wars factice poudre aux yeux à dire vrai. Un dépouillement maladroit d'une saga qui jusqu'alors avait toujours eu ce souffle même lorsque la créativité lui faisait défaut.


Rogue One c'est d'abord une idée folle de John Knoll, fan consanguin de la trilogie d'origine, ce dernier ayant fait parti du processus créatif de ces mêmes films de par son implication chez ILM. Une cohérence a priori consécutive à The Force Awakens, typique de la stratégie Disney souhaitant faire revivre une nostalgie propice à la découverte par un nouveau public. Mais suite aux premières et souvent discutables critiques sur le travail de JJ, le projet a inévitablement évolué, une question se posait alors : comment sortir un spin-off sur la trilogie initiale quand une partie du public reproche un manque d’originalité au septième volet conçu pourtant sous le signe de la cohérence ? Il semble dès lors impossible de saisir ce dernier né sans considérer son prédécesseur d'un an et cela d'autant plus que Disney a tout fait pour cultiver en apparence une certaine différence (procédé répété également ad nauseam lors de l'actuelle promotion du VIII et son scénario « inédit »).


Rogue One est alors un entre-deux bien délicat, entre les trilogies et leurs publics respectifs capricieux. Mais à trop vouloir faire dans le copinage avec ces derniers, depuis le lancement de ce projet de fan film jusqu'à l'ultime reshoot, l’œuvre s'est condamnée d'elle-même à mes yeux. Regarder cette dernière c'est constater une multiplication d'éléments souvent vains qui se greffent de manière plus ou moins réussie à un scénario bien trop léger et surtout mal exploité. Que de personnages inutiles et fantomatiques, que de références gratuites entre soucis de raccords et liens plus dispensables. L'univers n'est pas assimilé mais sans cesse glorifié puérilement, ceci créant un décalage des plus troublants en comparaison de la menace à affronter. De certaines sonorités en lien avec la prélogie distillées dans la BO de Giacchino à la multiplication de planètes souvent effleurées par exemple (5 au bout de 20 minutes), le film s'étend inlassablement depuis sa bien simple base. Faussement créatif, artificiellement étendu, l'univers s'éparpille pour un sentiment de vide assez flagrant après visionnage. La richesse de la prélogie marquait car elle était exploitée dans ces lieux et civilisations visités. Ici ce ne sont qu'une succession de données de remplissage à quelques rares exceptions, uniquement deux planètes sont véritablement explorées et utiles. Seule la dernière demie heure reste en mémoire, du grand spectacle mais en aucun cas du grand Star Wars. Un dernier acte qui de la chute d'un destroyer à une porte étrangement bloquée multipliera les facilité et incohérences de manière bien grossière, masqué par cette poudre aux yeux, cette nébuleuse …


L’œuvre d'Edwards ou du moins ce qu'il en reste est une véritable somme de paradoxes qui derrière un soin flagrant dans la mise en scène et ce souci de grandiose révèle une écriture chaotique en définitive. Unifier deux trilogies tout en rassurant les fans déçus du 7, autant d'objectifs titanesques, un cahier des charges inconciliable lui-même réécrit. L'univers n'est pas prolongé, il est explicité gratuitement, en aucun cas enrichi, ou alors en apparence une fois encore. Le film est broyé de toute part dans ses références, ne se libère jamais et ne s'attarde sur rien. Le tout cristallisé par la tristesse même de son titre dont on ne savait que faire, écrasé par le souvenir du générique introductif si célèbre de la saga. En croyant aspirer la sève du Nouvel Espoir, jusqu'à inhumer ses personnages et archives, Rogue One peine à trouver un sens et surtout une identité propre. Un bel objet cadavérique, créature insensée, produit bâtard tiraillé d'intentions contradictoires. Ironiquement le film porte en lui les maux que bon nombre de ses défenseurs reprochaient au VII.


Vendu comme un film de guerre affirmé, essence même et grande inspiration du volet de 1977 au demeurant, le film peine ainsi à faire vivre ses personnages, à nous entraîner dans son histoire si convenue. Mais c'est avant tout cette première heure interminable à présenter le quelconque de ces sauveurs bien trop insignifiants qui signe déjà la fin du film. Comment peut-on manquer la moitié de son histoire à ce point sur ce genre de production ? Un premier acte qui s'éternise et aura eu raison de mon admiration pour la beauté évidente du film. La gravité de l'enjeu magnifiquement mis en scène mêlant une fois n'est pas coutume un destin familial à celui de la galaxie ne permet pas ce souffle indispensable. Le danger entrevu sur Jedha (Jedha-Jedi vs Rathtars-Raptors n'est-ce pas) impressionne, mais sans le liant entre nos personnages et le spectateur c'est bien la passivité qui domine. Dès lors comment ne pas s'attarder sur celle qui illustre pratiquement à elle seule la faillite du long métrage à savoir Felicity Jones.


Cette actrice n'inspire absolument rien à l'écran si ce n'est une nonchalance sans talent. Un temps justifié par ce personnage perdu et désintéressé, le film laisse peu à peu entrevoir une erreur de casting aussi préjudiciable que la présence d'Emilia Clark dans le rôle de Sarah Connor auparavant. Un personnage aussi discutable que son interprète faisant véritablement tâche dans l'univers Star Wars qui a toujours su faire preuve d'une grande pertinence en matière de personnages féminins. Leia est une icône, l'histoire de Padmé tragiquement sublime malgré des maladresses, Rey incarnant la figure du héros à elle-seule. Felicity Jones en revanche est continuellement spectatrice devant ces événements y compris lorsqu'elle est sensé être le moteur de l'histoire. A l'image de son intervention puérile avant l'assaut final ou de son discours risible tant il est dénué de conviction devant nos rebelles (comparaison Disney), notre personnage n'est jamais à la hauteur. Un fiasco pas si agréable à regarder. Mais cette dernière n'est pas forcément mieux entourée. Entre des protagonistes parodiques faute de pouvoir assumer la force (ce souffle pour le moment indispensable à la saga de toute évidence), et des acteurs au talent inexploité ou limité par l'écriture vide et convenue au possible de leurs personnages, Rogue One n’entraîne que trop rarement. Nous sommes noyés pour ne pas dire abusés en détails. Felicity Jones incarne bel et bien le film, son vide admirable, cette nébuleuse qui ne restera que poussière aussi lumineuse soit-elle.


Des nouveautés simulées et finalement un intérêt qui resterait alors dans ces épaves de l'Empire. Tarkin et Vador incarnent de fait cette dévotion morbide et obsessionnelle adoubée par Lucas lui-même comme ultime symbole. Techniquement la prouesse est absolument incroyable concernant Tarkin et la place qui lui est accordée est logique. Les liens qu'ils entretiennent avec l'étoile de la mort ne sont pas inutiles, au contraire. Mais si Jyn Erso est la fausseté enjolivée, Vador reste l'authentique inhumation ratée. Un costume calqué sur celui du IV quand Lucas lui-même l'avait systématiquement retouché à chaque épisode, un reshoot certes tonitruant incohérent avec l'usage parcimonieux voulu par Edwards qui pensait raconter son histoire sans doute. Résultat le rendu est digne d'un déguisement plastique de convention, l'usage insensé. Le tragique de la situation étant que la scène aussi jouissive soit-elle et fruit d'une réécriture étrangère au réalisateur reste la seule chose retenue par le public avec la bataille spatiale. Rogue One est typique du film voulant plaire, une entreprise de séduction sauvée par l’hypocrisie de certains admettant ce qu'ils reprochaient un an avant. La violence du film et sa gravité n'ont absolument rien à envier à ce qui a déjà été fait.


Par ailleurs on loue un gigantisme et le jeu des échelles d'Edwards mais il est assez ironique une fois encore de constater que ce dernier ne se concentre que sur des décors et écarts entre lieux et vaisseaux tandis qu'Abrams usait du même procédé. La différence étant que celui-ci ne faisait pas dans le fanatisme du IV mais dans la déconstruction de ce dernier (énième ironie pour ceux qui y voyaient un simple remake). De la même façon ce gigantisme bien plus subtile que Rogue One était au service de nos personnages et racontait quelque chose sur eux. Rey, Finn, Han ou Kylo Ren sont dans ces plans et illustrent des destinées et des choix lourds de sens. Ils évoluent dans des situations qui les dépassent et sur lesquelles ils auront une influence, nous faisant vivre une aventure. Or Rogue One ne nous fait rien vivre. La dimension space opera comme mise à jour qu'on avait reproché à Abrams une nouvelle fois impressionne mais émotionnellement on ne s'attache à personne si ce n'est à ces images d'archive du film fondateur. Rogue One tente de combler des « manques » mais par là même rate ses personnages quand c'est bien les parcours de ces derniers qui ont toujours fait la sève de la saga. L’artificialité des liens entre épisodes et ce soin maladif du mimétisme nuisent considérablement.


Au jeu des comparaisons Rogue One n'a finalement que bien peu de choses à gagner face à son aîné. On peut me reprocher cette démarche mais elle n'est que le fruit de ma déception et de mon incompréhension face aux incohérences d'un certain public acceptant aveuglément ce qu'il condamne malhonnêtement ailleurs. Le projet ne tient pas, ne tente pas ou trop peu. Il n'a que l'apparence de l'univers, ne le travaille jamais. La publication de romans sur nos personnages juste avant sa sortie devant combler cette faillite totale de l'écriture au développement inexistant et honteux. De la simple mais belle et parfois ridicule reproduction jusqu'à en arriver aux débats de pure éthique aussi passionnant soient-ils d'ailleurs. Malgré ces mots le film reste un blockbuster convenable, mais c'est logiquement que cette nébuleuse donne ce qui restera avant tout à mes yeux une étoile morte. Une nébuleuse pour une autre série de spin-off incapables d'exister et qui se condamnent eux aussi à creuser les tombes de ce passé quand c'est bien vers les astres lointains qu'il faudrait regarder.

Chaosmos

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