Disclaimer : ce texte était initialement un commentaire sous ma note qui a fini par devenir une critique par sa longueur, mais ce n'est pas forcément la forme la mieux construite pour un véritable article de cinéma.

Ron débloque s'attaque à la délicate question des smartphone et des réseaux sociaux, sujet qui se fait facilement maltraiter par des gens qui le prennent de haut pour taper sur les jeunes générations qui seraient lobotomisées. On en a vu des blagues faciles sur les gens qui prennent des selfies en toute circonstance ou qui ne savent plus se servir de leurs 10 doigts, c'est pour ça que j'ai envie de mettre en valeur ce film qui se débrouille plutôt bien à ce niveau là. Le principe est que le nouvel accessoire technologique du moment s'appelle les B-bots, des robots accompagnant leur propriétaire avec toutes les fonctionnalités liées à notre connectivité à Internet, et Barney le jeune garçon que l'on suit va écoper de Ron, produit défectueux qui bug, entraînant autant de boulettes que de moments de convivialité spontanée qui vont faire évoluer le duo.

Première idée qui me plaît : le fait que les nouveaux smartphone couteaux-suisses deviennent littéralement des compagnons personnifiés de leurs enfants (car les adultes ne sont étrangement pas concernés par le phénomène, le film se concentrant vraiment sur le point de vue enfantin). Deuxième idée : le fait que ces B-bots choisissent eux-même les amis de leur maître grâce aux concordances de goûts de chacun. Une bonne manière de rappeler la façon dont on a tendance à construire nos relations selon une liberté de façade tandis que les algorithmes nous dictent beaucoup de choses dans l'ombre. Nous avons accès à un contenu et un nombre de relations gargantuesque mais notre temps libre trop réduit nous force à nous limiter à la minuscule lucarne que les GAFA veulent bien nous proposer. Il y a déjà là une lucidité qui change des habituelles critiques entièrement orientées sur notre dépendance à une technologie, ce à quoi le film répond malicieusement avec un paternel qui se montre réticent à offrir un B-bot à son fils pour cette raison tout en restant collé à son propre téléphone. L'occasion de rappeler que les millenials d'aujourd'hui seront les boomers de demain sur ces questions là, et de s'éloigner d'un discours qui se limiterait à dénoncer les gadgets à venir sans s'interroger sur l'utilisation qu'on pourrait en faire.

Je trouve d'ailleurs que le film sait donner une certaine personnalité à ses B-bots et à la manière dont ils changent le paysage, faisant naître une culture nouvelle liée à leurs capacités. Le principe du compagnon qui définit à notre place nos meilleurs amis potentiels ne sert pas qu'à présenter notre difficulté à nous pencher sur nos voisins, elle rend aussi logique la petite ostracisation de Barney qui démarre le film en étant le seul à ne pas avoir son robot, comme les enfants de jadis qui auraient été les seuls à ne pas avoir de télé et à ne pas se trouver dans la même sphère culturelle que leurs camarades. On n'échappera pas pour autant à quelques remarques plus convenues sur les dangers des réseaux sociaux, la course aux données personnelles, le mercantilisme décomplexé et la disparition de l'intimité, avec quelques réactions choquées qui donnent l'impression que les adultes découvrent ce phénomène qui est pourtant bien connu aujourd'hui (mais encore une fois je comprends qu'on appuie là-dessus pour les enfants qui pourrait croire que ces éléments qui existaient à leur naissance seraient normaux). Le film rappelle également qu'un contrôle est nécessaire sur l'utilisation qui est faite de ces outils, parce qu'un enfant qui peut tout faire sans limite ça fait des dégâts. La finesse de ces discours est un peu hit or miss, des fois ça nous refait le coup de la superficialité des gens qui se mettent en scène, et puis des fois ça vient parler de harcèlement favorisé par les algorithmes qui ne nous autorisent pas à mettre la tête hors de l'eau.

Pour la relation entre Barney et Ron, si l'évolution du rejet à l'amitié passe par des ressorts essorés elle reste efficace, notamment grâce au robot attachant. Les éléments qui rendent Ron défectueux sont d'ailleurs très variés et intéressants : il essaie de faire la même chose que ses homologues, mais sans connexion à Internet et fait donc tout "à la main", expérimentant pour emmagasiner les connaissances si cruciales pour lui et reproduisant IRL des applications du virtuel, ce qui est assez drôle à voir. J'ai lu un développeur dire que l'informatique est un génie roublard : il vous donnera ce que vous demandez, mais pas forcément ce que vous voulez. Il y a un peu de ça ici au début, c'est ce qui fait les défauts et le charme du robot, mais c'est précisément parce que l'opposé se manifeste ensuite que l'amitié peut naître : elle ne s'épanouit pas dans un programme absolu ni dans l'obéissance systématique, il faut un peu de contrariété pour trouver de la personnalité et de la surprise chez autrui et il n'y a pas lieu de fuir les centre d'intérêts divergents. Ne pas toujours donner ce que l'autre demande pour mieux lui donner ce dont il a besoin.

Ron débloque évoque pas mal Tempête de boulettes géantes et Les Mitchell contre les machines avec sa cellule familiale haute en couleur qui fait le grand écart entre les anciens traditionnels et l'enfant moderne (pourtant ils ne sont pas japonais), la créativité de ses Géo Trouvetout et l'irruption d'une nouvelle technologie qui prend de l'importance avant de dérailler. Mais Mitchell se servait surtout de ses machines pour un intérêt ludique où les appareils connectés devenaient autant de monstres à affronter par un habile détournement de leur utilisation première, tandis que son propos sur la question concernait surtout la fracture générationnelle à surmonter au cours d'un voyage. Alors que Ron débloque est davantage dans la description de sa génération 3.0, ainsi qu'un décryptage des mécanismes de l'amitié qui reste léger mais se montre juste assez attachant pour fonctionner. Il est moins bien fignolé que ces modèles : l'écriture peut se montrer caricaturale en plusieurs occasions (le PDG cynique en est un bon exemple, même si on peut comprendre l'idée de forcer le trait pour les enfants qui ne réalisent pas tous les enjeux de l'environnement numérique dans lequel ils grandissent), il y a un personnage qui change de comportement trop vite et de manière mal amenée. Le film est assez drôle, imaginatif et enlevé mais un cran moins que les cadors et on risque donc de lui préférer quelques modèles qui lui font de l'ombre. Il est honnête partout et souvent savoureux mais exceptionnel nulle part, balourd par moment et bien vu à d'autres. Toutefois c'est une bonne surprise qui ne mérite pas l'indifférence générée par sa promo inexistante, il constitue un bon choix pour voir un film sur les usages numériques actuels.

thetchaff
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le 5 oct. 2022

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