• Je vous préviens qu'en général je suis malade. Mal de l'air, mal de mer... Je pense que j'vais même peut-être vomir sur vous.

  • Allez-y. Sur cette chemise ça s'verra pas.



Depuis qu’il a été injustement condamné, Ben Richards traîne son imposant volume dans l’obscurité d’un chantier de travaux forcés. Bon bougre, il feint d’accomplir sa besogne avec un zèle résigné. Son menton jadis glabre s’est transformé en plantation d’herbes sauvages volées à un dieu grec, ses yeux sont deux puits d’acier rivés à leur destin, ses courbes perlées de sueur scintillent à la lueur des chalumeaux comme le fleuve puissant coulant au pied du volcan en fusion, pendant qu’il transporte des tonnes de métal rouillé sur la superficie avantageuse de ses épaules démesurées.



On fait l'avion ?!



Ben aimerait secrètement s’échapper, d’ailleurs ça a l’air simple. Pas de porte, pas de barreaux, l’horizon s’offre à son regard indécis comme la promesse d’une nouvelle vie. Mais on ne la fait pas à Ben, il a bien vu comment ceux qui ont essayé avant lui ont fini, et Ben a vite fait le rapprochement entre le collier qu’ils portent tous, dans le chantier, et les têtes qui explosent occasionnellement. Heureusement Ben s’est fait des copains. Il y a un grand noir un peu bourru mais toujours rassurant avec sa voix de peluche et un plus petit, plus fluet, qui ne pourrait cacher sa manifeste supériorité intellectuelle derrière son attitude chétive et sa paire de lunettes. Quelques baffes dispensées à des gardes figurants, deux clics sur ces ordinateurs valises qu’on trouvait dans un film sur deux à l’époque, et les trois compères sont à l’air libre. Quelques minutes plus tard, Ben Richards est délesté de son collier-bombe, se rase, prend Maria Conchita Alonso en otage, se camoufle dans une chemise à fleurs et disparaît dans la population. Une gageur quand on dispose d’une géographie corporelle aussi vaste.



Hé Killian ! Regarde-le ton Sub-Zero ! Maintenant, tu peux l'appeler Zéro tout court !



C’est une providence pour Damon Killian, empereur de la télé du futur, à la recherche d’une nouvelle star pour son jeu de chasse à l’homme. Alors bien sûr, l’histoire commence quand Ben est capturé, jeté dans l’arène devant des millions de téléspectateurs, et doit en découdre avec plein de gros types sur-armés et recouverts de bibelots (le hobbit) lumineux. De tous les films de qualité douteuse, qui se tapent à peine la moyenne sur ce site, et que je me plais à évoquer comme les perles rares qu’ils sont, celui-là est à coup sûr un de mes p’tit favoris. Running Man, c’est toute la franchise écervelée, toute la folie acide que la décennie suivante, trop soft et trop lisse peinera vraiment à retrouver, et qui se perdra définitivement par la suite. La comparaison avec Hunger Games est idéale, autre divertissement boursouflé de bêtise adolescente sans la moindre aspérité. Tout est rêche dans Running Man, rugueux jusqu’au grain de l’image. C’est ce post-apo comme on le regrette, avec ces plans de villes où la nuit tombe à 11h du matin, avec des groupes de vagabonds en guenilles amassés autour de bidons rouillés. Des amoncellements de détritus comme seule lande environnante, des projecteurs de lumière aveugle, de la poussière et de la sueur, et ces grands écrans, symbole d’une télé toute puissante, vomissant leurs programmes à la face de troupeaux hypnotisés, agglutinés comme les fidèles d’une messe obscure.



J'en ai rien à foutre de vos conneries ! Tout ça c'est... C'est d'la merde !



Parce qu’il y a presque un sous-texte dans Running Man. Y a presque un arrière goût visionnaire. Une vision pessimiste de ces tas de hyènes humains, récoltant le fruit vicié de leur propre exigence. La manipulation des foules par la harangue perpétuelle et les images truquées. C’est même pas loin de briser le quatrième mur avec son héros iconique et son glorieux “It’s show time” avant la fusillade. C’est aussi le monde délabré d’une terre sans foi ni loi, où l’image d’un criminel présumée devient l’occasion du déversement de la plus abjecte des biles collectives. Ça peut coller le frisson l’espace d’une seconde oui.



T'es une belle saloperie ! J'vais t'dire moi c'que j'en pense ! J'vais t'le faire bouffer ton contrat. Mais laisse un peu d'place pour mon poing parce-que j'ai bien envie de t'l'enfoncer dans l'estomac et d'te péter la colonne vertébrale !!



Haha bon. Allez. Entre nous, on sait tous pourquoi on regarde Running Man hein. Réalisé par Starsky en personne et interprété par un Arnold au mieux de sa forme (c’est 87 les enfants, c’est l’année de Predator, film parfois plus connu sous l’appellation “Film le plus jouissif du monde”), Running Man c’est les jeux du cirque version latex, plastique et leds clignotantes. Un de ces témoignage des prédictions stylistiques dans les années 80. Ce sont d’abord des répliques proprement inimitable, pleines à craquer de termes qu’on oserait plus du tout aujourd’hui et d’une répartie de marteau pneumatique qui a fait date. C’est l’inventivité même au service d’une idiotie du meilleur aloi, avec ces gladiateurs tous plus savoureux les uns que les autres, du hockeyeur de corrida à la moto tronçonneuse en passant par le monstre-sapin de Noël, il y a une pétillance rare dans un film comme Running Man, quelque chose de puéril, de fondamentalement noble qu’on appelle l’insouciance. On dirait le cadeau fait à un gosse en plein délire “Et alors après tu veux quoi dans l’histoire ? - Euh Un type avec un jet-pack qui crache des flammes ! Boum !”. Y a aussi Harold Faltermeyer à la composition pour le meilleur du bon synthé qui tâche. Et cet Arnold qui fonce dans l’tas en beuglant, avec ses barbelés, avec sa combinaison moulante, avec sa répartie cosmique, sa chemise hawaïenne, son casque de chantier... jamais complètement sérieux et pourtant parfaitement à fond dans son rôle. A l’image de son rival de l’époque, la générosité même, le dévouement à son public.




  • Seigneur Jésus !

  • Ah ouais. C'est lui.



Le couplet est toujours le même, mi-amour pour l’action et la répartie des 80’s, mi-nostalgie des mercredis après-midi d’escapades en vidéo-clubs. Y a rien de très défendable là dedans, à prendre au sérieux comme un Jesse Ventura prisonnier d’un costume en toc, mais franchement moi j’adore.



Liaison, brouiller le réseau, liaison, brouiller le réseau... Si ça continue c'est mon pied que j'vais mettre en liaison avec vos culs et c'est pas l'réseau qu'ça va brouiller !


zombiraptor

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