Tu ne seras jamais Jimmy Dean.

Rusty James, c'est d'abord une démythification du film Rebel without a cause, comme d'autres l'avaient fait pour le western. Sauf qu'à l'opposé d'un Peckinpah où existe encore une forme de croyance en un âge d'or passé de l'Ouest américain le film signale très tôt que l'âge d'or des blousons noirs fantasmé par Rusty James, celui d'avant les ravages de la drogue sur les gangs, n'est qu'un fantasme. Et quand son frangin le Motorcycle Boy revient en ville, c'est un voyou à la fois conscient de son mythe mais pas dupe de ce dernier. Les tentatives de Rusty James de lui ressembler, de jouer les coureurs de jupons et les king de la baston, finiront de manière pathétique. Pourtant dans le même temps aucun film tentant de prévenir du pouvoir trompeur des icônes n'a concentré autant d'icônes au mètre carré: Dillon cabot en Rusty James, Rourke au sommet de sa coolitude en Motorcycle Boy (et au look inspiré de Sartre, si si!), Diane Lane qui n'a pas peur de remettre Rusty James en place, Tom Waits, Laurence Fishburne, Chris Penn, Dennis Hopper, Nicolas Cage...

Contradiction résolue par la fin du film: pour libérer son frère du mythe Motorcycle Boy, la seule solution est que l'icône s'efface d'elle-même.

De MTV à Paris et Hong Kong

Mais Rusty James est surtout un film qui, un an avant l'arrivée de Carax et cinq avant celle de Wong Kar-wai, tente de puiser en partie dans la palette visuelle d'un vidéoclip en plein expansion pour faire un film proche dans l'esprit du cinéma d'auteur européen des années 1960, un cinéma qui travailla fortement la notion de temps. Du vidéoclip le film prend le principe d'un montage dicté par la musique et non le récit : le rythme des séquences où le score de Copeland est présent semble dicté par la musique plus que par les situations. Et d'ailleurs le caractère très musical du rythme d'ensemble du film le rapproche du Français et du Hongkongais. Le film s'inscrit bien sûr dans la stylisation léchée du vidéoclip de son temps tout en puisant ses faux hors champs du côté de l'expressionnisme et ses grands angles soulignant un univers déréglé du côté de Welles. Les multiples plans d'horloge marquant l'écoulement du temps, soulignant la nostalgie d'un âge d'or des gangs de rue que le film sait factice, précédent ceux du Hongkongais. Et comme plus tard chez le Hongkongais les alternances entre plans qui durent et plans urbains aux accélérations vues dans bien des vidéoclips des années 1980 racontent la variation du rythme émotionnel, temporel du récit : celle entre désenchantement et énergie rock.

Anges et voyous

De même l'usage du noir et blanc alterné sporadiquement avec des éléments en couleur parce qu'un personnage est daltonien est le genre d'idée de mise en scène qu'on aurait tout à fait pu voir chez le Hongkongais... ou chez Wenders à la même époque. Le personnage de l'ex du Motorcycle Boy est de fait le genre de figure fantômatique solitaire qu'on aurait pu voir chez l'Allemand. Et l'onirisme des moments où Rusty James rêve de sa copine en mode affriolant ou celui où il rêve les réactions que susciteraient son décès annoncent en partie celui des Ailes du Désir. Le travail sur les décors de Dean Tavoularis et sa combinaison avec certaines situations du film reflètent le caractère beau, factice et fantasmé de l'univers décrit : on passe d'une désolation de ville industrielle américaine à un pavillon résidentiel pour aller vers un diner américain typique et des clubs et des fêtes en plein air à l'ambiance Nouvelle-Orléans.

Fille de.

Le film déplut aux critiques américains, plut aux cinéphiles français et fut un succès en Argentine et au Chili. Aux States certains se demandaient pour quel public était fait un film de Blousons Noirs art et essai. Cela n'a pas empêché le film d'avoir un héritage artistique fécond mentionné plus haut. Notamment chez une gamine qui jouait dans le film: c'est le seul film de son père que Sofia Coppola cite dans ses films fétiches et le mélange d'approche sensorielle et d'esthétisme publicitaire de ses (deux premiers et) meilleurs films a un fort cousinage avec Rusty James. Quant à imaginer que la difficulté de Rusty James à rivaliser avec son frère ait touché une jeune femme ayant grandi dans une famille de grands talents artistiques (Carmine Coppola, Papa Francis, Nicolas Cage)...

A noter que le film contient un dialogue résumant à lui seul le mythe Mickey Rourke: Même les civilisations les plus primitives ont un respect inné pour les fous.

JohnTChance

Écrit par

Critique lue 17 fois

3

D'autres avis sur Rusty James

Rusty James
0eil
9

Critique de Rusty James par 0eil

Après une longue discussion ayant pour thèmes les Parrains que je venais de découvrir et mon admiration pour le Mickey Rourke des années 80, magnifique dans Angel Heart, on me conseilla Rusty James,...

Par

le 3 févr. 2011

44 j'aime

1

Rusty James
Sergent_Pepper
8

“Well, you're better than cool. You're warm.”

Après Coup de Cœur, expérimentation kitchissime et Outsiders, première incursion du côté de la jeunesse désœuvrée, j’attendais le pire de Rumble Fish. Long clip à la plastique parfaite, d’un superbe...

le 1 déc. 2013

36 j'aime

7

Du même critique

Barbarism Begins at Home
JohnTChance
10

Le Freak, c'est Chic.

Juste avant que les Smiths se séparent, Morrissey chantait la mort d'un danseur de disco. Ce qui ne l'avait pourtant pas empêché d'inclure dans le second album studio de son Velvet à lui cette longue...

le 3 déc. 2019

5 j'aime

The Mission
JohnTChance
9

Maître Tailleur

Le contexte de la mission En 1999, Hong Kong a été rétrocédée à la Chine depuis deux ans et l'âge d'or (1985-1997) de cette cinématographie est bel est bien fini, les cerveaux n'ayant même pas...

le 14 sept. 2021

5 j'aime

2

Fairytale of New York
JohnTChance
10

Cadeau empoisonné

Classique des "tubes de Noël" complètement inconnu en France alors que de l'autre côté de la Manche il est souvent entonné après avoir bu un verre (de bière) de trop. Mais classique paradoxal (et pas...

le 11 avr. 2019

4 j'aime

2