On n’avait pas vu venir que l’un des films les plus négligés de son époque deviendrait, vingt ans plus tard, un miroir aussi précis du désastre culturel en cours. S1M0NE, comédie satirique vendue comme une fantaisie hollywoodienne sur le numérique, se regarde aujourd’hui comme un texte politique majeur, un film de lutte sur la dépossession du vivant par le spectacle, une fable sur l’extinction du corps dans l’image. Andrew Niccol, cinéaste souvent raillé pour sa raideur conceptuelle filme ici l’agonie du cinéma lui-même, son glissement de l’art à l’algorithme, du geste à la formule. Le récit est simple : Viktor Taransky, cinéaste (Al Pacino) sur le déclin, crée par désespoir une actrice virtuelle, « Simulation One », qu’il baptise S1M0NE. L’actrice devient star, idole, icône mondiale. Le réalisateur, d’abord triomphant, comprend bientôt que sa créature, faite de pixels et de logiciels, lui échappe. C’est le Frankenstein du capitalisme culturel, le démiurge qui découvre que son pouvoir de créer l’illusion n’est qu’un autre nom pour sa propre disparition.
Le film s’ouvre sur une lumière blafarde, sans ombre : Niccol filme Pacino dans un studio dévasté, entouré de machines, d’écrans cathodiques, de câbles. Déjà, la texture visuelle est celle du numérique objectivé : aplats, absence de grain, une image sans profondeur, presque sans air. Le cinéma s’y regarde mourir à petit feu. Dans un plan récurrent, Viktor parle à l’écran de sa créature invisible : son visage se reflète dans le moniteur, fondu avec celui de S1M0NE — union monstrueuse du créateur et du programme, fusion d’un corps humain et d’une surface de verre. Ce que Niccol filme, c’est la lente absorption du vivant par le flux d’images. La caméra ne respire jamais. Les mouvements sont mécaniques, les champs contrechamps alternent selon une logique d’ordinateur : chaque plan répond au précédent comme une donnée à une autre donnée. Cette syntaxe glacée est un commentaire en acte — la mise en scène est elle-même une simulation. Niccol tourne le film comme un fake : décor suréclairé, montage trop propre, couleurs publicitaires. Tout a l’air faux et c’est là le sujet.
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