Dans le domaine des compagnies visionnaires Sony s'impose, petit-à-petit, comme la mieux servie par son approche « nous avons dix ans de retard sur le reste de l'industrie ». Phrase choc. J'admets. Mais elle souligne certes une réalité derrière laquelle bien des studios mal partis s'abritent. Faisons le tour.


Là où Disney pousse ses Nouveaux Héros Marvel dans le sens d'un échec susceptible de détruire sa succursale après avoir largement ralenti son acquisition Star Wars sur l'autel de pareilles logiques, tandis que DC parie sur une destruction potentielle de chacune de ses grandes licences sur un pari similaire que certains nomment l'Effet Batwoman, et que de son côté Netflix mutile les séries dont elle s'offre pourtant les droits pour un joli pactole... Sony reste tranquille. Ses produits sont familiers. Limite artisanaux. Venus d'un passé proche. Dotés d'un pedigree. Celui d'une sorte de retour aux vieilles formules foireuses qui firent son échec total au milieu des années deux-mille. Après tout, ce n'est pas vil ; la compagnie qui vous a proposé Jack & Jill connaît ce type de périls. Elle se souvient même de ses écueils les plus récents dans le domaine du bien-pensant. Faut-il les mentionner ? Je pense que oui. Ça me fait plaisir. Charlie's Angels ? Trente millions de pertes. Men in Black : International ? Quarante-sept millions de pertes. Sans parler du joyau de leur couronne. Un calcul raté d'une ampleur rare. Un epic fail de deux heures capturé sur pellicule. Le bien nommé... Grossesbusters 2016. Septante-et-un millions de pertes. Plus le respect de l'internet. Sortez les clarinettes. Est-il surprenant de voir leur productions oser s'enfoncer dans une médiocrité plus familière quand tant d'audace a poussé la Maison Mère si proche de la faillite ? Attention. Cette question était hypothétique.


Se fendre d'un soft-reboot de la licence S.O.S Fantômes n'est pas vraiment complexe. Ça peut sembler épineux si vous êtes dépourvu de toute compréhension des envies du public. Autant le souligner. Mais pour peu que vous soyez un être humain doté d'un brin jugeote ? Je ne vois pas comment se foirer de manière majeure. Il suffit, après tout, de passer un contrat avec l'une de ces compagnies spécialisées dans les productions modiques en images de synthèse. Pensez au studio responsable de l'exécrable version moderne de La Famille Addams. Elle a déjà une vague idée du type d'ambiance. Un peu moody, une touche d'horreur, mais pourtant cartoony. Puis, en toute bonne logique, on ressort des cartons le scénario écrit par Dan Aykroyd pour ce troisième opus qui ne fut jamais réalisé. Vu qu'Egon est mort personne n'oserait tenter d'endosser le rôle. Ce serait, après tout, un sacrilège. Donc... on passe du côté animé de l'équation. Faudra engager des sosies vocaux. Peut-être même ceux du dessin-animé officiel de la série pour peu qu'ils soient encore en vie. Si nécessaire engagez Chris Pratt pour doubler Slimer. Histoire de générer des memes. Dernière étape. Assure à l'ensemble un budget raisonnable. Disons... environ 150 millions. Publicité non-incluse. Et voilà. Ghostbusters III. C'est une suite. C'est un reboot. Vous jouez sur la nostalgie des anciens. Vendez le concept aux bambins. Soudain l'on se souvient de la série. D'autres projets sont possibles. Who you gonna call ? Un private banker pour investir tout le pognon ainsi généré. CQFD.


Mais... ne serait-ce pas trop simple ? L'industrie du cinéma fait fi des paris aisés. Même sur papier le plan fonctionne avec trop d'efficacité. Mieux vaut tenter l'impossible. Briser les murailles d'une société calfeutrée dans ses habitudes. Et pourquoi pas... tenter d'en faire une comédie pour filles. Ce qui veut dire, vous l'aurez subi, comédie pas très hihihi. J'ai une idée. Elle sera autant qu'elle soit réalisée par un yes-man dépassé par l'ampleur de la série. Il suffit alors de penser au casting. Attention. Sujet épineux. Tant de femmes comédiennes. Si peu sont susceptibles de générer des revenus. Choisissons... deux obèse. L'une blanche. L'autre pas. Deux anorexiques. L'une drôle. L'autre insupportable. Et quitte à y être ? Chris Hemsworth. On veut un peu de cette poudre de perlimpinpin Marvelienne. J'exige aussi qu'une personne, au moins, soit lesbienne dans l'affaire. Préférablement Chris Hemsworth. Faut respecter les quotas. Mais ce n'est pas tout ! Afin de bien marquer votre mépris au public de la série démerdez-vous pour que tous les rôles masculins soient, au choix, des crétins haineux ou bien aux limites cognitives de la débilité mentale. Niveau structure ? On va taper large. Expérimental. Laissez juste tourner la manivelle. Vos actrices professionnelles auront vite-fait de détruire le peu de scénario que vous aviez pris le temps de coucher sur papier au profit d'improvisations sans intérêt. C'est ça la comédie. On improvise. Relax. Tout ça se retape au montage. Puis, l'humour, ça les connaît. Tel est leur point fort. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi elles y sont aussi médiocres. À ce stade du texte le rédacteur – sobre mais certain de ses maigres efforts – se tourne tout en continuant de taper à l'aveugle son article sans grande prétention pour faire face à une caméra inexistante, celle qui capture chaque instant de son existence paranoïaque, afin de lui donner le type de sourire satisfait que l'on peut se permettre après l'exécution sans faille d'un paragraphe efficace. Sans en avoir l'air ? Il est très fier. C'était, après tout, une blague mieux rédigée que l'intégralité d'un long-métrage qui s'intitule – tel un bidule – Grossesbusters 2016. Une voix familière retentit soudain dans son esprit. Elle dit... douze sur dix.


Résultat ? Je le rappelle. Septante-et-un millions de pertes. Bel effort. Il est temps de capitaliser sur pareil succès. Sauf, bien entendu, que c'est impossible. L'échec est sans suites. Faudra donc trouver une autre formule. Pourquoi pas... les Goonies ? Le concept est très à la mode. Ou presque. Pensez-y. Netflix. Stranger Things. C'est la même famille. On peut même se payer l'un des gamins – maintenant trentenaire et gardé fluet par une thérapie hormonale expérimentale – pour jouer le grand frère. Mais quel serait le concept ? Déjà, là, je pense guetter une échauffourée. Les Ghostbusters ayant survécu aux outrages du temps sont bien trop vieux pour jouer des gamins. C'est un paradoxe. Et aucun d'entre eux ne semble vraiment doté du type d'énergie vitale masculine nécessaire à produire des enfants. Ray est trop obèse. Peter est insupportable. Seul Winston pourrait avoir été tenté par une relation normale avec le sexe opposé... mais veut-on vraiment réaliser par hasard un film de Jordan Peele ? Va falloir tenter quelque chose d'audacieux. Ou presque. L'équivalent hollywoodien d'une idée audacieuse. Quelque chose d'assez stupide, en fait, maintenant que j'y pense. Avec un peu de chance le public n'y verra que du feu. C'est souvent le cas.


Voici le concept. Sortez le papier à rouler. Egon Spengler était un père démissionnaire lancé dans un combat façon Don Quichotte contre une montagne contenant l'un ou l'autre minerai dont j'ai oublié déjà oublié le nom. Cette substance, une fois traitée, permettait de produire des poutrelles d'un style très spécial dont la résonance moléculaire attire l'activité ectoplasmique. Cfr. Ghostbusters. Cette exploitation minière n'est autre qu'une des nombreuses compagnies dont Ivo Shandor possédait le secret de son vivant tandis qu'il construisait ses gratte-ciels maléfiques dans la ville du bagel. Que faut-il retenir ? Shandor n'est pas juste un architecte occulte mais bien un capitaine d'industrie décidé à faire venir Gozer le Gozérien sur notre plan d'existence. Pourquoi pas ? Nous attaquons maintenant le virage dans l'étrange. Il le faut. Egon est mort en héros. Dans son champ. En tentant d'attraper un fantôme massif. La glaise aux pieds. Tout seul. Sans ses potes. Comme un crevard. Flash-forward vers le passé proche. 2020. C'est un de ces films retardé par la pandémie. Sa fille, bientôt cinquantenaire, n'a jamais connu son père. Elle est très aigrie. C'est déjà ça de pris. Prière de ne pas tiquer sur l'étrangeté temporelle que tout ceci implique. Si les dates doivent converger alors... Egon devrait l'avoir conçue entre les deux films et ne jamais l'avoir mentionnée. Heureusement personne ne pense à ce type de questions de nos jours. Vu que le concept du film exige des enfants Spenglers... la mère de famille, certes divorcée, en a produit deux. D'un côté ? Stranger Things. De l'autre ? Une adolescente qui fait semblant d'avoir douze ans. Peut-être. Je crois. Suis pas certain de comprendre le découpage des années scolaires américaines. Ce qui n'a pas une importance phénoménale mais m'énerve un peu. Je sais pourtant que l'actrice ici maquillée en brunette était autrefois Carole Danvers version enfant dans Captain Marcel. Celle qui ne pouvait pas conduire un kart car elle était une fille. Une héroïne du peuple, donc, son nom sera célébré au Kremlin pour les générations à venir.


J'en étais où ? Ah, oui, la fille Spengler. Elle hait son père. Sa vie est pourrie. Pauvre comme Job. La valeur allégorique en moins. Si on me demande mon avis ? Personnage monotone sans réel intérêt. Même son arc narratif – son père tel Peter Parker l'avait laissée en sécurité car de Grands Pouvoirs, etc. – est tellement télégraphié qu'on entend l'opérateur actionner la petite manivelle. Par chance, ceci dit, ce n'est pas son film. Mais celui de sa fille. Qui, bien entendu, est une petite génie trop futée limite autiste car elle semble avoir hérité en ligne droite les neurones familiaux. Remarquons qu'elle est brune tandis que sa mère est blonde. C'est aussi ça, Hollywood, les petits indices visuels. On sent la marque des conteurs émérites de la capitale désertique. Par chance, euh, Phoebe – j'ai été obligé de chercher son nom – elle ne croit pas aux fantômes. (Ou, pour répéter le trademark des jouets elle a « Même pas peur des Fantômes ™ »). Ce qui sera fort utile quand la vieille ferme Spengler leur tombera dessus comme autant de malheurs. C'est qu'elle est hantée, voyez-vous, par l'esprit du fameux physicien de l'impossible. Pouvez-vous deviner le concept du film en ayant remarqué son sous-titre ? Non ? Voulez-vous appeler un ami ? Je vous laisse quelques secondes.


Bravo ! Il est en effet question des aventures du fantôme d'Egon tandis qu'il pousse sa progéniture à obtenir les reliques sacrées de l'Ordre Jedi afin que celle-ci termine le travail qu'il fut incapable de réaliser. Car il était tout seul. La glaise aux pieds. Sans ses potes. Comme un crevard. Et ça même si l'on sait – attention spoilers – que la créature qu'il cherchait à neutraliser nécessite que l'on croise les effluves pour être ne serait-ce que vaguement inquiétée. Non. Ne cherchez pas à comprendre. Tout ceci est scénaristique. S'il avait été en bons termes avec les autres Ghostbusters le film n'aurait pas pu être articulé sur une nouvelle génération de Spenglers cherchant à résoudre le problème posé par la disparition d'Egon. Ah, au fait, Stranger Things est le grand frère de Phoebe. Je pense l'avoir mentionné mais une deuxième couche est parfois utile. Il veut sortir avec une demoiselle qui bosse au snack local. Son talent ? Être presque capable de réparer Ecto-1. Presque. Vraiment. Un personnage très tridimensionnel. Il sait cependant conduire une transmission manuelle. Bel effort. Sont fortiches ces américains.


Sans rentrer dans les détails Phoebe réunit autour d'elle une équipe multiculturelle d'enfants/adolescents d'âges divers et enquête sur l'étrange nexus ectoplasmique contenu dans la montagne locale. Il se trouve, tenez-vous bien, qu'une sorte de trou infernal Lovecraftien existe caché derrière d'étranges bas-reliefs mésopotamiens réalises à flanc de coteau. C'est à ce stade que la bande-son joue du thérémine pour vous faire comprendre que c'est spooky. Soyons francs. J'ai beaucoup aimé les compositions réalisées pour Afterlife dans le style du regretté Elmer Bernstein. Il semblerait même que Sony soit parti chercher dans leurs archives – celles achetées à Columbia Tristar, donc – les morceaux surnuméraires composés pour l'original. Ce qui fait officiellement du film un effort réalisé de manière équitable entre morts et vivants. Attention. Transition.


Nous voici arrivés à la case morale. L'idée de réanimer les acteurs du passé pour leur permettre un dernier hourra m'a toujours laissé dans un état de malaise extrême. Peter Cushing dans Rogue One ? Une pure insulte. L'homme est mort. Laissez-le reposer en paix. Je comprends que la situation est différente en ce qui concerne Harold Ramis. Lui laisse une certaine descendance. Ses deux femmes, ainsi que ses quatre enfants, ont sans-doute donné leur permission pour qu'on exploite une dernière fois l'image de papa. Ce qui explique peut-être pourquoi l'homme connu pour un humour sec et tranchant est ici au centre de diverses scènes mélancoliques d'un sirupeux extrême. Ramis était drôle. Très drôle. Suffit de voir ses sketches écrits pour SCTV pour s'en rendre compte. Un intellect de combat. Vif et chirurgical. Je me demande s'il aurait été vraiment ravi que l'un des personnages pour lesquels il était le plus connu soit ici utilisé pour faire pleurer dans les chaumières. Impossible à savoir. Ceci dit... j'apprécie le fait qu'ils n'aient pas poussé le sacrilège jusqu'au point de non retour. Son fantôme ne parle pas. Or, dieu sait qu'ils auraient pu. Il aurait suffit d'utiliser les restes des séances d'enregistrement de Ghostbusters : The Video Game pour écrire un film autour. Je vous le rappelle. Plus rien n'est sacré de nos jours.


Tel est aussi le sentiment que j'ai ressenti quand les sémillants septuagénaires sont venus sauver les Gossesbusters vers la fin du troisième acte. Tous engoncés tels qu'ils l'étaient dans leurs nouvelles salopettes vintage. L'intégralité de cet effort a mené mon esprit sur des sentiers cyniques. Limite à prendre des paris. Selon mes pronostics... ne soyez pas surpris si Dan Aykroyd est le prochain à trépasser. Il est à ce stade sphérique. Je ne préfère pas imaginer sa pression artérielle. Les deux autres ? Ça va. Ernie Hudson semble paradoxalement rajeunir avec le temps. Sans-doute une question de sport. L'homme aura bientôt quatre-vingt ans. Bill Murray, de son côté, ressemble à une momie. Peut-être est-ce une idée à investiguer pour une éventuelle suite ? Celle où reviendrait pour un chèque Rick Moranis ? Toujours est-il que voir les ancêtres se la jouer Règlements de compte à O.K. Corral m'a tiré quelques larmes. Pas forcément celles que Jason Reitman escomptait, d'ailleurs. Les miennes étaient plutôt tournées dans la direction générale de l'atroce déréliction que représente le fait d'être humain dans cette machine à entropie que l'on nomme la vie. Voilà vos héros. Quarante ans plus tard. Détruits. Pathétiques. Loin d'être drôles. Obligés de donner un brin de respectabilité au nouveau film. Quitte à se casser une hanche. Tout ça dans un effort guimauve incapable de faire oublier que Bill Murray a fait la guerre pendant un quart de siècle contre l'homme qui a lancé sa carrière. Il fut fort longtemps en mauvais termes avec Harold Ramis. Pourquoi ? De mémoire c'était suite à une série de désaccords autour de Groundhog Day. Murray est loin d'être lucide quand il s'agit d'appliquer sa patte à un film. Suffit de voir ses nombreuses productions au ton relaxé réalisées avec Jarmusch. Celles où il va à l'envers du contexte du film pour sembler décalé. Je sais pas si on vous l'avait dit mais servir un long-métrage en s'effaçant au service de l'histoire ? C'est trop lui demander.


Mais soyez cependant rassurés : vers la fin du film Gozer le Gozérien est à nouveau enfermé dans un piège idoine tandis qu'un gamin essuie de larges quantités de crème à raser de son faciès. C'est un film très courageux. Il tente plein de trucs. Ce n'est pas, du tout, un simple décalque mercantile des figures imposées d'une comédie pour adultes afin d'en tirer un long-métrage d'action-aventure qui peine à comprendre l'humour pince-sans-rire de l'original. Du tout. Ce qui explique la scène sponsorisée par Walmart. Ou celle qui l'est par la barre Crunch de Nestlé.

MaSQuEdePuSTA
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le 18 janv. 2022

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