Sad Vacation
6.6
Sad Vacation

Film de Shinji Aoyama (2007)

Shinji Aoyama est probablement l'un des réalisateurs japonais contemporains les plus fascinants. Disciple de Kiyoshi Kurosawa (il fut assistant-réalisateur sur l'un de ses tournages, le citant souvent comme une influence) et grand admirateur de la nouvelle vague française, il n'a cessé de varier sa mise en scène de film en film, cherchant toujours à redéfinir son style en expérimentant. Loin de s'enfermer dans un système de représentation du temps, comme ce pourrait être le cas d'un Bresson ou d'un Tarkovski, il n'hésite pas avec Sad Vacation à en livrer une expérience opposée à ce qu'il a pu donner dans Eurêka.


En effet, si ce dernier usait de l'unité du plan-séquence (une expérience du présent pur) dans lequel s'injectait petit-à-petit un passé traumatique, Sad Vacation est au contraire un film de la fragmentation, dont les interstices s'ouvrent constamment sur le futur et le passé. Fragmentation du cadre, par les nombreux sur-cadrages qui cristallisent la difficulté d’existence d'un lien social, et fragmentation du temps, par le montage extrêmement inventif qui ne cesse de déconstruire toute linéarité (par des jump-cuts, des flashbacks et flashforward de quelques secondes etc.). Ainsi, ses travellings lancinants sont ici constamment interrompus par le montage, empêchant toute combinaison entre temps et mouvement d'exister pleinement. Il y a donc une démarche radicalement opposée à celle d'Eurêka : ici, l'expérience du présent ne peut pas exister car les personnages ne sont que des sommes de leurs actes passés et futurs. Pourtant, la thématique centrale est la même dans les deux cas : comment s’accommoder d'un passé trop lourd à porter ?


Kenji, le personnage au centre du film, ne compte pas l'oublier ou accepter de vivre avec. Il choisit la vengeance envers sa mère l'ayant abandonné enfant, une vengeance chargée de sens qui révèle les dysfonctionnements profonds de la famille japonaise contemporaine. Conflit générationnel qui mène à une incompréhension des enfants et de leurs parents, jeunesse désœuvrée (le frère de Kenji, voleur à la tire), recomposition familiale (l'immigré chinois) : tous les personnages ou presque sont à la recherche d'un lien social qu'ils ne peuvent plus retrouver dans la famille. Pour Kenji, cette recherche finira mal : quand les individus ne croient plus aux liens, que ceux-ci perdent tout leur sens, ils finissent par s’entre-déchirer.


Aoyama s'inscrit donc parfaitement dans la lignée d'un Sion Sono ou d'un Shuji Iwai, en sondant avec une grande acuité la déliquescence du modèle familial, la croyance en une unité par les liens du sang. Moins enragé que Sono, moins mélancolique qu'Iwai, il n'en demeure pas moins tout aussi créatif.

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le 12 avr. 2018

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