[Critique à lire après avoir vu le film]

Salvo commence par un cliché de film de mafia : l'homme de main du parrain qui fait face à une agression d'un clan rival. Classiquement, on ne voit que la main fripée du boss et sa gourmette. Puis des motards qu'on aperçoit dans le rétro surgissent au bout de la rue et se mettent à défourailler à tout va. Salvo est le héros, donc il dégomme tout le monde, exécutant même impitoyablement l'un des agresseurs après lui avoir fait avouer le nom du commanditaire.

Et puis notre homme se rend chez le dit-commanditaire, et tout change. La cible n'est pas chez elle, la seule dans la maison est sa soeur, Rita, qui compte des billets de banque en écoutant sur son poste une chanson sucrée comme sait en produire la variété italienne. Gros plan sensuel sur les tennis blancs qu'elle enlève. Salvo ne tarde pas à comprendre que la jeune femme est aveugle. S'ensuit un long, très long plan séquence dans l'obscurité où Salvo épie la jeune femme qui va et vient dans la maison, ressentant confusément une présence, tentant de se calmer en sentant l'odeur d'une étoffe contre sa poitrine. On est passé du banal film d'action, installé volontairement de façon convenue, à un film d'art et essai, laissant s'installer dans la durée une ambiance. Au sein de ce labyrinthe de couloirs sombres, Grassadonia et Piazza parviennent à créer un malaise palpable, notamment avec le strabisme que simule superbement Sara Serraiocco, au faux air d'Ornella Muti (j’ai cru qu’une authentique handicapée avait été employée !)..

Après avoir flingué le frère hors champ, notre tueur s'apprête à faire de même avec sa soeur aveugle. Il accomplit le même geste que pour le petit malfrat exécuté quelques instants plus tôt : lui faire baisser la tête, pour y loger une balle. Au lieu de cela il se ravise, lui met les mains sur les yeux... et la guérit. La femme distingue une lueur, où se détache l'ombre floue de son sauveur - Salvo signifie "je sauve" en italien.

Peu à peu, Rita va recouvrer la vue, séquestrée dans le hangar d'une casse où l'on a coutume d'ensevelir les victimes du clan pour lequel Salvo officie. En retour, celui-ci va, lui aussi, se métamorphoser. Mais attention : c'est un dur, donc pas du genre à baisser la garde. Il va certes prendre soin, de plus en plus, de sa captive, l'incitant à manger, la laissant peu à peu libre de ses mouvements, mais toujours avec la gentillesse d'un agent de la Gestapo. Saleh Bakri, qui tient le rôle-titre, est un subtil mélange de Schwarzenegger (pour la mâchoire carrée) et de Delon (pour le regard bleu azur et le côté taiseux). Il y a du Samouraï dans ce Salvo, avec la même volonté d'utiliser les codes du genre pour aller vers l'abstraction.

Ce que veulent nous conter Grassadonia et Piazza, c'est à la fois la sensation d'une aveugle retrouvant la vue et l'histoire d'une rédemption associée à une romance.

Pour le premier, c'est assez réussi : on ressent l'importance des bruits autant que la lumière qui blesse, incitant à calfeutrer la prison où elle est retenue.

Dans son versant rédemption, le film est plus sibyllin. Les deux cinéastes recourent à des scènes hors de la casse où Rita croupit, montrant Salvo dans son quotidien : de nombreuses scènes dans une pension, où le couple au service de son client se fait rabrouer copieusement, avant que notre tueur se radoucisse un brin, invitant le taulier à sa table ; des scènes quasi documentaires, dans la rue, où Salvo échappe à la police en se fondant dans la foule ; des scènes avec le boss, qui l'incite (fortement) à manger comme le fera Salvo avec sa prisonnière. Plus tard une scène de face à face avec le Parrain, entouré de ses sbires menaçants, qui n'entend pas laisser son homme de main agir à sa guise avec la soeur d'un renégat. Toutes ces scènes visent à ancrer le tueur dans son milieu sicilien, et de montrer qu'il change.

Mais s'il change, c'est vraiment par petites touches : pour la rédemption comme pour la romance, Grassadonia et Piazza ont eu tellement peur d'en faire trop, ils ont tant voulu garder intact le personnage glacé de Salvo et celui d'animal farouche de Rita, que la conversion comme le coup de coeur peinent à exister. C'est peu de dire que le film ne cherche pas à se rendre aimable : pour ressentir que Salvo a changé sous l'effet de l'amouououour, on n'aura droit qu'à deux minces sourires de notre héros. Pour faire comprendre qu'il a des sentiments pour cette fille, on passe par la bastonnade d'un collègue qui a eu le malheur d'enclencher le disque de la chanson dans la voiture, et d'ironiser sur sa nullité (pourtant incontestable !). C'est mince. Réciproquement, on a quelque peine à admettre que notre sauvageonne s'éprenne de l'homme qui a quand même tué son frère (même problème que dans le dénouement de West Side Story) avant de la séquestrer (même problème que dans Les trois jours du Condor).

Certes, il est louable de tenir un parti pris jusqu'au bout, c'est même à ce genre de choses qu'on reconnaît des auteurs. L'ultime scène où Rita, qui a aidé à son tour Salvo, se contente de lui tenir la main alors qu'il agonise, face à la mer, est assez jolie. Et le long générique sur le bruit des vagues ne manque pas d'allure.

Reste que, comme le parti pris en question est d'être rêche, le spectateur a quelque peine à avaler la pilule. On saluera donc le geste de cinéma, sans s'enthousiasmer totalement pour le résultat.

Jduvi
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le 23 janv. 2023

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