La tendresse et la lâcheté de « Snow Therapy » a fini par porter Ruben Östlund sur le plus grand tapis rouge de la Croisette, où il est venu triompher d’une Palme d’Or avec l’intriguant et le chaotique « The Square ». Et pour sa seconde apparition consécutive en compétition, le cinéaste suédois est de nouveau reparti avec ce prestige. Ce choix confirme peu à peu cette dérive, imputée à une édition d’anniversaire, où il n’aurait pas été convenable d’adouber une nouvelle mascotte. Et quand bien même on préfère jouer la carte de la sûreté, il ne reste que de l’indigence derrière cette fausse promesse, visant à électriser la frontière entre les classes. La satire prend forme à nouveau, à l’image d’une plomberie défectueuse, dans un torrent d’autosatisfaction qu’on ne pourrait même pas s’en servir comme engrais. Il verse alors davantage dans la comédie piquante, pétillante et a fortiori satirique de « Play », présentée à la Quinzaine des Réalisateurs en 2011.


Malheureusement, le drame survient dans toute cette étude, vaine et risible, qui se croît malin en imaginant faire tanguer l’univers de la société bourgeoise pour mieux capitaliser sur un humour noir. Pourtant, le tempo comique n’aura plus rien d’encourageant, une fois le monde de la mode et une discussion houleuse sur le sexisme scellés dans un tiroir. Il ne reste alors plus que deux gros axes narratifs, l’un penchant vers l’outrance et l’excès, tandis que l’autre tente maladroitement de renverser l’ordre établi. Si la lutte des classes a réussi à accompagner le naufrage du Titanic, celui-ci nous conduit inéluctablement vers un pique-nique qui ne saura ni renouveler ses enjeux, ni capter notre attention par son ton absurde ou d’autodérision. La photographie aura beau être léchée, la mise en scène ne fait pas l’effort d’explorer cette horizontalité, qui ne devrait pas lui faire défaut.


Toute l’essence du projet vient de son écriture, limpide par sa simplicité et détestable par sa superficialité, jusqu’à ce que l’on comprenne que le public visé n’a pas de quoi en rire, mais plutôt de quoi s’offusquer devant de tels caricatures. Les citations sont diluées dans le même verre de vomi qui nous est servi, avec une conviction qui admet parfois son efficacité. Le malaise est parfois jubilatoire et Östlund l’a suffisamment déjà expérimenté pour limiter la casse, mais au final, tout le monde passe par-dessus bord, en abandonnant la conscience, l’équité et la partage sur le Yatch. Le cinéaste essaye alors de briser les contraintes sociales qui lient le peu de personnages qu’il reste à développer, en amputant formellement les riches de leur fortune, les mêmes personnes obsédées par le capitalisme et qui refusent de constater ce naufrage.


Tout ce petit monde en bas a donc de quoi se réjouir, car plus rien d’a d’importance sur leur CV, plus rien ne prédomine que l’autonomie et la résilience de chacun, à faire un véritable état des lieux. Et s’ils n’y parviennent pas, le réalisateur s’en chargera, n’hésitant pas à torpiller tout ce qui brille, en s’accordant à dire que la beauté à un prix, au même titre que la perfection. Et dans cette vive comparaison, le cinéaste se perd et ne raconte rien de plus que ce que l’on sait déjà. À vouloir détourner et détourner les sujets tabous ou à laisser transparaître certaines pensées sans subtilité, il finit par mettre tous les arguments au même niveau, rendant ainsi « Triangle of Sadness » (Sans Filtre) bêtement cathartique. Le jeu des rapports de force ne fonctionnait donc qu’un temps, avant de repartir de plus belle, avec des banalités atteignant rarement la justesse d’un « Bad Luck Banging or Looney Porn », où l’arroseur devient l’arrosé.

Cinememories
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le 28 sept. 2022

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