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Du pouvoir de l'argent, et vice versa !

Si Nietzsche affirmait faire de la philosophie à coup de marteau, on pourrait dire que Ruben Oslund fait du cinéma à coup de marteau piqueur ! "Triangle of Sadness", très curieusement traduit par "Sans Filtre" est un film qui sonne presque comme un furieux manifeste du cinéaste contre les riches, qui plus est les nouveaux riches, celles et ceux qui se sont enrichis sans scrupule et avec un cynisme désopilant. L'un affirme être devenu riche en vendant "de la merde". L'autre "travailler pour la démocratie" en fabricant des grenades. Un summum d'abjection !

Tout le film porte sur une seule notion : la domination. Au sens large. Domination masculine. Domination sexuelle. Domination financière. Domination sociale. Du début à la fin du film se joue un incessant rapport de domination qui va conditionner l'ensemble du scénario et des rapports entre les personnages.

Ca commence par ce couple d'opportunistes qui profitent du système capitaliste (lui est mannequin, elle influenceuse) et qui se confronte de manière franchement grotesque sur des questions d'argent lors d'une scène éloquente. La domination tourne autour de l'addition d'un restaurant où chacun cherche à dominer l'autre tout en prônant l'égalité dans le couple. La question de la domination se poursuit sur le yacht où c'est la caste des nouveaux riches qui méprise et domine le personnel du bateau, en l'humiliant même par ses caprices délirant, comme d'obliger l'ensemble du personnel à se baigner et à se jeter dans la mer tout en buvant du champagne. Juste comme ça, une lubbie.

La domination par l'argent est, sur ce yacht, à son comble. On ne cesse d'y affirmer qu'on est riche et on va même jusqu'à s'enorgueillir d'être riche presque indûment. Un yacht sans jamais personne à la barre, qui navigue à vue comme une sorte de "bateau ivre", à l'image de son capitaine.

Car le capitaine du navire, un alcoolique au dernier degré, est marxiste et dans une détestation sans limite des riches. Il ne tient pas la barre. Il boit jusqu'à plus soif. Depuis le début de la croisière, il reste enfermé dans sa cabine jusqu'à la fameuse "soirée du capitaine" où il va être obligé de se montrer aux convives, aussi saoul qu'à son habitude.

Une soirée du capitaine qui vire au cauchemar, au sens propre du terme. Le yacht est pris dans une terrible tempête et l'on assiste médusé à l'une des scènes les plus trashs du cinéma. Tout le monde est malade. Ca gerbe de partout. Tout le monde baigne littéralement dans le vomis. Et là on ne peut s'empêcher de voir dans cette scène exubérante l'exutoire des riches et de leur argent par un débordement de vomis qui inonde tout le bateau. Un véritable purgatoire des riches avant de sombrer en enfer avec l'invasion du navire par des pirates qui le prennent d'assaut et l'envoie par le fond en le faisant exploser. L'explosion du yacht, à travers ce qu'il représente, c'est l'explosion du capitalisme.

Ne reste plus alors que quelques survivants échoués sur une île isolée. A ce moment là du film, on peut dire qu'on assiste à une révolution au sens marxiste du terme. Le renversement complet de la domination de classe avec la prise de pouvoir du prolétariat sur la bourgeoisie. Marx en a rêvé. Oslund l'a réalisé !

Le naufrage du navire, qui n'est pas sans évoquer celui du Titanic, est le point de bascule où s'inversent les rapports de domination. Du peu de survivants qu'il reste, c'est la femme de ménage, qui plus est responsable du nettoyage des toilettes (la plus méprisée des tâches), qui prend le pouvoir sur le groupe par la nourriture et qui en joue avec un parfait cynisme.

Là où Marx voyait la dictature du prolétariat comme un aboutissement vertueux, Oslund est moins idéaliste en affublant Abigail (la femme de ménage) des mêmes travers que les chantres du capitalisme et de l'argent. Elle instaure une dictature au sens propre, y compris sexuelle. Sa domination est totale là où l'argent et le luxe n'ont plus aucune valeur. Une Patek Philip de plusieurs 100aine de milliers d'€ ne vaut même pas une nuit dans un canot de sauvetage...

"Sans Filtre" est donc en quelque sorte une parabole des rapports de domination qui évoluent en fonction du contexte et des conditions. Tout comme la société. Le capitalisme n'est pas éternel. Mais la domination, la "Volonté de Puissance" pour rester chez Nietzsche, elle, est intrinsèque à l'être humain. C'est dans sa nature.

Beaucoup de gens on trouvé la fin du film bâclée et ratée. Bien au contraire, le réalisateur, qui a ouvert la boite de Pandore de la domination humaine, nous "refile le bébé" d'un air de dire : "Et vous, vous en pensez quoi de tout ça ?!". Il a fait sa démonstration. La suite ne l'intéresse pas puisque c'est l'éternel recommencement du même !

fred-bayle
8
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le 11 mai 2024

Critique lue 6 fois

fred-bayle

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