En tant que fan de Bob Marley depuis très longtemps, il fallait bien que je vois ce biopic dont je n'espérais à vrai dire pas grand chose, sachant qu'il est produit par Ziggy Marley, le fils ainé de Bob, et surtout par Rita Marley, sa femme et la fille de Bob, Cedella Marley (qui voue une terrible rancune à l'égard de son père). Depuis la mort de Bob Marley en 1981, la famille Marley a fait de la superstar du reggae une super machine à cash, s'enrichissant de tout et n'importe quoi sur le nom de Bob Marley. Bob a ainsi enrichi la famille Marley en s'affichant sur des glaces, des cendriers, des paquets de café, des porte-clefs et tout un tas de babioles superficielles propres à enrichir les multinationales de notre société de consommation. On est là aux antipodes de ce qu’était Bob Marley qui a passé sa vie à dénoncer la superficialité et le mercantilisme de ce qu’il appelait « Babylone system » ! L’abrutissement et l’assujettissement du peuple par les élites, politiques et financières !

Bref… Rita Marley à la manœuvre sur ce film, c’était prometteur. Celle qui s’auto proclame depuis la mort de son mari la « Reine du reggae », trônant (au sens propre !) au bord de sa piscine de Miami, couverte de bijoux ! Bob aurait adoré ça ! Il suffit d’avoir lu son livre « Ma Vie avec Bob Marley » sorti en 2004 pour craindre le pire. Et le pire est arrivé ! En deux mots, ce biopic sur Bob Marley est en fait une célébration de la « sainte » Rita qui se présente à nous comme la conscience de Bob, sa confidente, son ange gardien. Celle qui s’est sacrifiée pour la gloire de son rasta de mari. Ce qu’elle n’a jamais été, bien au contraire ! Pour Bob, qui n’a vraiment pas été tendre avec elle, il faut bien l’avouer, elle n’était que la mère de ses enfants et la choriste en chef des I-Three. Point barre.

Or, dans ce film, elle s’attribue le beau rôle. Ce biopic est au fond présenté en filigrane comme l’histoire d’une « love story » (One love ?) entre Rita l’épouse digne et protectrice qui veille au grain d’un Bob Marley présenté un peu comme un artiste et rasta absorbé par son art et empreint de naïveté. Un adulte un peu infantilisé obsédé par l’absence de son père et l’adoration de son double en la personne de Haïlé Selassié. Et même s’il est vrai que Bob était plutôt naïf à bien des égards – certains en ont d’ailleurs bien profité ! – on ne l’appelait pas « Le Skip » par hasard, car il savait exactement ce qu’il voulait et comment y arriver. Bob Marley était quelqu’un de très rationnel, de bien réfléchi et d’extrêmement exigeant envers lui-même et les autres. Le film trahit à ce point la réalité de ce que fût Bob Marley que j’ai fini par me demander si j’assistais vraiment à un biopic de Bob ou à une célébration hagiographique de la reine Rita Marley, épouse toute dévouée à la gloire de son mari !

Et s’il n’y avait que ça ! Pour finir de me dépiter, ce film pèche cruellement par une réalisation sans aucun relief et sans profondeur, multipliant des effets de mise en scène sans la moindre subtilité et désespérants de mièvrerie. Comme ces « flashs back » ridicules qui sont autant d’éclairages douteux qui viennent rappeler et rappeler encore, s’il en était besoin, que si Bob Marley fut ce qu’il a été c’est grâce essentiellement à l’amour de sa vie incarné en la personne de la noble Rita. Et c’est là que même le titre du film devient suspect dans le sens où ce « One love » peut finalement se lire à la fois comme l’injonction des rastas envers le Ras Tafari, mais aussi comme l’amour unique et divin entre Rita et Bob. Rita est décidément partout, elle imprègne ce film de sa volonté viscérale d’exister auprès de Bob, au point de trahir la mémoire même du « Tuff Gong ». Et ce n’est pas la mollesse patante et le manque de charisme de l’acteur qui incarne Bob Marley qui parvient à sauver le « Skip » de cette trahison !

Et le pire est à venir lorsque les connaisseurs de la vie de Bob Marley s’aperçoivent que non content de travestir la réalité au bénéfice de l’autoproclamée « Reine du reggae » Rita Marley, le film va même jusqu’à réécrire l’histoire de Bob Marley durant sa période londonnienne. On le sait, c’est à Londres qu’en 1977 Bob Marley va vivre sans doute sa plus grande histoire d’amour avec la belle Cindy Breakspeare, Miss monde 1976, qui donnera naissance à Damian Marley en 1978, l’un des nombreux enfants de Bob. La magnifique Cindy est quasiment absente du film, on la voit ici et là fugitivement sans qu’on prenne la peine de nous faire comprendre qui elle est, toujours bien sûr au profit de la noble Rita, notamment lors d’une scène vraiment grotesque où Bob chante amoureusement à sa femme la magnifique chanson d’amour « Turn your lights down low » composée par Bob pour… Cindy Breakspeare ! D’ailleurs, toutes les chansons d’amour de l’album « Exodus » sont adressées à la mère de Damian Marley.

On va s’arrêter là car il y aurait encore trop de choses à dire sur ce film de propagande pour Rita Marley, celle qui aurait aimé dans la réalité être autre chose que la seule mère des enfants de Bob Marley et l’une des choristes des Wailers. Car non Rita Marley n’a jamais été l’idylle de Bob Marley qu’elle aurait voulu être. Bob était jamaïcain et rastas. Entendons par là libre à tous points de vue, y compris sur le plan sentimental et sexuel. Bob n’était pas ce type cloisonné au couple avec sa femme Rita, bien au contraire. Il vivait essentiellement avec ses musiciens et au sein de la communauté rasta, installée au 56 Hope Road sur les hauteurs de Kingston. Quant à sa vie sentimentale et sexuelle, les nombreux enfants qu’il a eus avec différentes femmes sont là pour en donner une idée assez explicite. Le portrait lisse et moral, sans aucune profondeur, que donne ce film de Bob Marley est là pour contrecarrer l’histoire d’un homme riche en contraste et en contradictions, pas toujours pour le meilleur d’ailleurs… C’est plutôt ce Bob Marley là qu’on aurait voulu voir, pour être plus en phase avec la réalité de ce personnage hors norme et de cet artiste exceptionnel que fût Bob Marley ! Celui qui chantait "One love, One heart, One destiny" !

fred-bayle
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le 20 févr. 2024

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