Il est de ces films qui laissent en nous, spectateur, une marque indélébile, terrible émotion que l'on nomme tristesse.

Il y a de cela quelques mois, je rédigeais une critique sur le film Amanda du réalisateur français contemporain Mikhael Hers, fable humaniste dans laquelle la violence du monde et la monotonie du quotidien étaient rendues supportables par la tendresse entre les personnages. C'est un film qui donne au spectateur, ce dont notre société manque terriblement à l'époque actuelle, à savoir de l'espoir.

Dans Sans jamais nous connaître, j'aurais tendance à dire que c'est tout l'inverse de ce Amanda. Le film est lumineux et touchant en raison de la beauté qui se dégage des relations amoureuses et familiales d'Adam, mais terriblement sombre et triste parce que ces relations ne sont que le fruit de l'imaginaire et du fantasme de ce personnage. C'est un film écrit au conditionnel, une œuvre du "j'aurais aimé que ..."

A aucun moment le film n'est tendre avec le spectateur. A chaque fois qu'il tente de l'être avec lui, il y met directement un terme. Par exemple, au début du film, afin d'échapper à son quotidien solitaire et monotone, Adam rend visite à un couple qui se trouve être ses parents. La séquence est belle et touchante, seulement très vite quelque chose cloche. Le spectateur reconnaît qu'il y a un fort décalage entre l'âge du couple et d'Adam, ce dernier semblant en réalité plus vieux que ses parents. La séquence qui suit viendra immédiatement confirmer nos craintes en nous indiquant que ces derniers sont en réalité mort depuis fort longtemps.

De plus, il n'y aucun espoir dans Sans Jamais nous connaître. Pas de fin ouverte, car tout est en réalité fermé, cloué dans le temps. Il n'y a pas non plus des retournements de situations placés sous le signe de l'optimiste, juste des étoiles dans le ciel, à la fois proches et isolées. Ce ciel à la fin n'est qu'une métaphore de l'immeuble dans lequel Adam vit, et cet immeuble est lui-même le reflet de notre société contemporaine : ce monde de l'individualisme, de la solitude, de la perte d'idéaux, et de l'illusion.

Le réalisateur, Andrew Haigh, aime se jouer de son spectateur, jouer avec ses émotions et ses perceptions. Le spectateur ne cesse de se poser des questions, de spéculer dans sa tête, et d'être fortement impliquer dans le film. Pourtant le titre du film donnait déjà la réponse à ses questionnements : les personnages ne se connaissent pas et ne se connaîtrons en réalité jamais.

Adam est un personnage solitaire, à la sexualité longtemps refoulée et non assumée, qui s'accroche à des bribes de passé, et à une simple rencontre fortuite avec un homme. Cette rencontre avec Harry, notre personnage va se créer tout un imaginaire autour, un véritable fantasme, en allant y puiser de la tendresse, tendresse qu'il n'a jamais reçue de la part de son père ni d'aucun autre homme, et qu'il ne recevra jamais.

Les lumières font office de retranscription parfaite de l'état mental du personnage. Les lumières sombres de l'immeuble, reflétant la solitude du personnage, laissent place à des lumières extrêmement vives à l'intérieur de la maison des parents d'Adam, reflétant le bonheur illusoire du personnage.

Sans jamais nous connaître fait parti de ces films que l'on nomme "attrape larmes", mais, ces larmes qui coulent sur nos visages, elles sonnent tellement juste. Il nous parle de notre société actuelle, de ce qui change et ce qui ne semble pas changer. C'est un film sur le deuil et l'amour, mais peu d'œuvres n'en ont parlé avec autant pessimisme et de beauté à la fois.

Quelle profonde tristesse !

Cast17
8
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Créée

le 26 févr. 2024

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Théo Cast

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