Je crois qu'aujourd'hui, je me suis pris ce que l'on appelle une claque.
Et des claques comme ça, j'en veux plus !
De Chris Marker, je ne connaissais pour l'instant que la jetée, vu très récemment, sur le même dvd que Sans soleil. Le moyen-métrage m'avait marqué par sa force visuelle, son style assez littéraire dans sa voix narrative et sa sensibilité au contact de la vie, des gens. Il y a une sorte de conjonction dans ce film où se retrouvent le cinéma, qui jaillit de la moindre image, de ce qu'elle montre et de ce qu'elle ne montre pas, jusqu'à ce mouvement à vous retourner le cœur, la littérature, ce protagoniste de roman, cette voix-off omnisciente, qui décrit tout, ou presque et ce style qui vous attrape pour ne pas vous relâcher, et la vie, avec ces personnages si vrais, cet amour si tragique et si puissant.
Dans Sans soleil, j'ai retrouvé ces mêmes aspects pendant 1h40, sauf que là, ça parle plus directement de notre monde.
Ce qui est très fort dans ce documentaire, film et bien plus encore, c'est ce mélange chaotique de l'écume de la musique, de la vague du cinéma, du remous de la réflexion, de la marrée de littérature, dans un océan de poésie. Car ultimement, ce film est avant tout poésie. Une poésie vibrante, au contact avec nos sentiments et avec ce qui fait de nous des sociétés, du politique à l'autre aimé. Une poésie qui vous frappe à la poitrine, lorsque cette girafe meurt en Afrique, lorsque ces adolescentes japonaises dansent à se faire remarquer, semblant ne pas remarquer qu'on les remarque, lorsque ces chiens errants jouent sur une plage du Sahel, lorsque ces gens voient partir leurs poupées dans les flammes comme s'ils voyaient partir des kamikazes, lorsque cette femme qui ne nous regardait pas, dans un marché en Afrique, plante soudain son javelot dans l'œil de la caméra, entre deux passants.
Le film nous embarque dans son rythme marin, passant naturellement d'un sujet à l'autre, d'une digression à l'autre. Mais il est toujours aussi clair qu'une eau tropicale, limpide derrière ses reflets. Pourtant, le sujet du film n'est jamais explicitement donné. Cela pourrait être le Japon et la Guinée-Bissau, cela pourrait être le photographe et cette femme qui reçoit ses lettres, cela pourrait être le rejet de toutes les injustices qui parsèment le monde et l'espoir d'un avenir meilleur, dans un futur lointain, et puis, pas tant que ça, cela pourrait être la mémoire, cela pourrait être l'amour. Cela est.
Le visionnage du film m'a rapidement rappelé un autre artiste. Ce mélange des genres, cette façon de digresser perpétuellement tout en disant beaucoup, cet attrait pour la poésie, la très haute, cet amour des gens et cette aversion du pouvoir, tirant à gauche. Il s'agit bien sur de Léo Ferré. Car comment ne pas le voir quand Chris Marker, lors d'une réflexion sur la mémoire, nous montre des chiens errants devant la mer. Les chiens, la mémoire et la mer. Comment ne pas le voir aussi quand il se projette dans un futur lointain débarrassé du pouvoir, 2000 ans plus tard.
Il n'y a donc aucune surprise à ce que, tout comme l'œuvre de Ferré, j'ai adoré ce film. Tant de choses sont dites et montrées qu'une critique ne saurait en contenir l'ampleur. Je vous invite, si ce n'est pas fait, à découvrir ce chef-d'œuvre et ai hâte d'explorer le reste de la filmographie du maitre.