La prostitution masculine est assez peu abordée au cinéma, du moins rarement en tant que sujet central de l’œuvre. Sauvage le fait de manière frontale, crue, directe. Mais paradoxalement, sans voyeurisme ni aucune complaisance. Sans jugement non plus. Dans un style quasi-documentaire, son réalisateur prend comme angle narratif le parcours de Léo, sa condition, son quotidien et son état psychologique fluctuant.
Le personnage en tant que tel est remarquablement bien construit, très juste et fin dans son approche. Sa motivation première est de survivre un jour de plus, ses visées sont purement court-termistes. Contrairement à d’autres prostitués, il ne cherche pas coûte que coute à s’en sortir. Que pourrait-il faire d’autre que tapiner et fumer du crack ? C’est en tout cas ce qu’il répond innocemment quand une médecin lui demande quelles décisions il compte prendre pour aller mieux. Cet état d’esprit, son hermétisme à tout espoir d’un avenir meilleur fait qu’on est constamment à se demander ce qui va bien pouvoir lui arriver, à guetter et espérer une prise conscience ou redouter l’excès de trop. On s’attache à sa trajectoire hésitante, aiguillés par quelques rares indices sur son bagage familial et son éducation, sans qu’il n’y ait jamais rien d’explicite. Car Sauvage dresse également un portrait brutal de la misère, de l’extrême précarité et du déclassement social. Sans moyen ni attache, s’offrant au premier venu, malade et dépendant, l’histoire de Léo accumule les repoussoirs qui pourrait facilement faire vriller le film vers le glauque et le morbide, mais Sauvage s’en éloigne très vite grâce au ton volontairement distant et elliptique du film et surtout à l’incarnation animale et lumineuse, parfois désarmante de Felix Maritaux, magnétique.
Le film tire aussi bien sa force de sa puissance documentaire que de la portée romanesque du destin de Léo, héros baladé et résigné mais paradoxalement en quête permanente de tendresse.
Pour un premier film, Sauvage fait preuve d’une grande maitrise et d’une puissance narrative admirablement contenue.
Sauvage e(s)t fragile.

Thibault_du_Verne
7

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Créée

le 13 sept. 2018

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