j'ai découvert plusieurs Sokourov en salle ces derniers jours, j’essaierai de revenir sur chaque, mais ce soir j'ai vu celui-ci que j'aime beaucoup :
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L’adaptation de Madame Bovary est presque un genre en soi. Beaucoup de grands cinéastes s’y sont frottés : Renoir, Minnelli, De Oliveira,…et d’autres moins grands, d’ailleurs une adaptation vient encore de sortir cette semaine.
J’aime beaucoup la façon dont Sokourov s’empare du roman de Flaubert et l’emmène sur ses terres.
Il fait du roman une fable cruelle et grotesque centrée sur le portrait de l’héroïne tiraillée par ses envies de liberté, de romanesque, de sentimentalisme exacerbé.
Durant près de 3 heures, le film ne raconte rien d’autre que l’impossibilité d’une liberté, et l’enfermement progressif d’Emma.
Ce qui est paradoxal pour le cinéaste, c’est justement la relative absence de ce sentiment d’étouffement, d’asphyxie, que l’on pouvait pourtant ressentir dans la plupart de ses films. Certes il utilise un cadre 1 :37 resserré, un jeu permanant avec le grand angle, mais il n’y a pas ce travail esthétique de couleur, jeu de filtres, distorsion de l’image. Même le travail sonore, toujours incroyablement travaillé habituellement, fait de superpositions, est ici sobre.
Le cinéaste synthétise l’objet du film au tout début, en un plan, disons plutôt en 2 séquences. La première c’est une scène de sexe entre Emma et son mari. Scène durant laquelle, et malgré l’inélégance et la brutalité avec laquelle Charles lui fait l’amour, elle semble, un peu, ressentir du plaisir. On voit alors quelques plumes sortir de l’édredon et lui retomber sur le visage. La scène suivante elle tente de recoudre l’édredon, se pique avec l’aiguille puis le déchire et éparpille les plumes dans toute la chambre. Les plumes volent un instant, puis retombent au sol. Ce plan est alors raccordé à celui sur une cage posée au bord de la fenêtre et l’oiseau qui l’habite.
Emma est ce petit oiseau enfermé dans sa cage, dans son édredon. Elle parviendra à obtenir quelques instants de liberté fugaces, mais ne parviendra jamais à s’envoler.
Hormis une courte escapade dans la nature, à cheval, les seuls moments de liberté que possède Emma vont se résumer à sa nudité et à sa sexualité (elle se déshabille) et puis à sa façon de s’exprimer, par moments, en français, comme dans les romans qu’elle lit.
Le film est parcourut de moments étranges, de formes, une tête bleue, un homme en slip, un chanteur d’opéra grotesque, une jambe amputée qui sert de jouet aux enfants, les moments hystériques d’Emma, la fausseté dans sa manière absurde de s’exprimer en français… Il y a une ironie et une bouffonnerie permanente qui rompt sans cesse le cadre, et qui trouve son apothéose dans le final du film, synthétisant le destin tragique de l’héroïne : dans un geste de désespoir, elle décide de se suicider, afin de peut être trouver cette liberté recherchée dans la mort. Or elle se retrouve à nouveau enfermée, dans 3 cercueils, 3 boites empilées, de façon grotesque et démesurée, comme des poupées russes.