Scream
6.8
Scream

Film de Wes Craven (1996)

Il n'y a pas si longtemps je détestais les films d'horreur ... Pas parce que je déteste avoir peur (j'adore certains jeux vidéos assez malsains) mais parce que je les considérais, par un espèce de raccourci de pensée erroné, comme un sous-genre du cinéma.
Voir des tripes, des tronçonneuses, des pièges sadiques, des jump-scares dans la tronche ben ça me vend moyen du rêve ...


Alors effectivement, c'est extrêmement réducteur et aujourd'hui je peux dire que j'avais tort ...
J'ai découvert que ça ne concernait qu'une partie du cinéma d'horreur et qu'il existe aussi de très bons films dans le genre, notamment grâce à Halloween de John Carpenter. (Bon avant j'aimais quand même les films d'Hitchcock comme Les Oiseaux ou Psychose mais passons ...)


J'adorais Halloween parce que c'était le contre-pied de tout ce que je n'aimais pas dans la conception que je me faisais du cinéma d'horreur : tout reposait sur la mise en scène, le hors-champ, les jeux sur la vue subjective ... bref ... on peut faire peur de manière bien plus sympa que le sang à gogo et l'usage excessif de jump-scare qui fonctionnent, de fait, lorsqu'ils sont ponctuels.


Si je parle d'Halloween c'est aussi parce qu'il me paraît difficile de ne pas l'aborder lorsqu'on parle de Scream tant les liens entre les deux œuvres sont forts. Scream lui rendant hommage et le parodiant simultanément.


Scream donc (ça y est on va commencer à parler du film, vous pouvez rester, ça va être sympa !),
est réalisé par Wes Craven en 1996, je ne m'attarderais pas sur la carrière de Wes Craven que je ne connais malheureusement pas tant que ça, en revanche il est intéressant de noter que le scénariste est un certain Kevin Williamson, qui créera deux ans plus tard la série Dawson qui se base, sur le même jeu de mise en abyme, sur le mélange entre la fiction et la réalité, mais dans un registre différent : celui de la comédie romantique et des séries teen.


Alors évidemment la séquence d'ouverture reste culte, et est réalisée d'une main de maître ! Slasher oblige, on découvre un tueur pas très sympathique et visiblement à fond dans les canulars téléphoniques ... Il est amusant de voir que ces quelques répliques échangées entre le tueur et Drew Barrymore sont devenues cultes et que cette peur du tueur à l'autre bout du fil fait dorénavant presque parti de l'inconscient collectif.


Le lendemain tout le lycée est en émoi, certains élèves sont choqués car il est vrai que trouver ses camarades de classes éventrés a quelque chose d'assez tragique en soi, et d'autres sont trop contents parce que décidément la vie ressemble enfin à un film et que tout les moyens sont bons pour rater les cours !


Là où Halloween décide de mettre en scène le mal absolu (dont on connaît l'identité car elle importe peu), Scream décide de laisser planer le mystère sur l'identité du meurtrier (qui d'ailleurs est un humain comme un autre, et galère beaucoup plus que notre ami Myers pour tuer ses proies. Il est extrêmement jubilatoire de le voir se prendre des portes, des murs, etc … et pourtant arriver la plupart du temps à son objectif).
Ainsi tout le monde est suspect, notre groupe d'amis se suspectent entre eux, d'abord sur le ton de l'humour ...



"Ça ne peut être qu'un homme qui a fait ça !" "C'est tellement
sexiste ! Tu as vu Basic Instinct ?".



Puis de manière un peu plus sérieuse dans le magasin de vidéos lorsque Randy essaie d'expliquer les codes inhérents au genre et le fait que la police piétine car ils n'ont jamais vu de films d'horreur. (C'est un lieu très important, lien entre la "réalité" et les œuvres de fiction auxquelles se réfèrent constamment les protagonistes. On peut d'ailleurs établir un lien avec une scène de Dawson, dans laquelle la prof vient emprunter Le Lauréat avant d'établir une relation avec un de ses élèves).
Bref, on ne découvrira l'identité du meurtrier que dans les derniers moments du film, et la révélation est très convaincante. La scène de confrontation avec le meurtrier est de plus drôle et décalée en étant complètement too much tout en gardant une tension constante.


Bon maintenant fini de rigoler et abordons ce qui me paraît essentiel dans Scream : ces effets de mise en abyme, attention il y aura des spoilers.


Scream est un film qui joue constamment avec des effets de réflexivités ou de mise en abyme. La mis en abyme en général, provoque une distanciation vis-à-vis de l’œuvre ; elle peut nous rendre conscient du dispositif filmique par exemple comme dans La Nuit Américaine de François Truffaut. Le spectateur est alors conscient qu'il regarde une fiction, et "sort" du film. Ainsi cela paraît non compatible avec le cinéma d'horreur, qui joue sur l'identification du spectateur aux personnages et à la crédulité pour créer la peur ; donner les clés de la compréhension de l’œuvre reviendrait à annuler les effets de surprise.


L'utilisation post-moderne de ces procédés devient de plus en plus complexe et il n'est pas rare que les réalisateurs et scénaristes échouent à jongler avec les différents aspects : distanciation et croyance, comique et terreur. Le comique ayant tendance à prendre le dessus sur la peur : il est facile de s'en rendre compte en regardant par exemple l'évolution de la saga Scream (basculant totalement dans le comique dans Scream 3), ou encore l'arrivée de Scary Movie (parodie d'une parodie qui abandonne totalement l'horreur).


Pourtant, Scream réussit assurément là où ses successeurs vont échouer, à créer un équilibre entre le rire et la peur mais surtout entre la distanciation et la crédulité du spectateur. Dans une interview en 1990 à propos de son film Shocker, Wes Craven nous livre sa volonté de réalisation qui est, du moins je le pense, totalement applicable à ses œuvres suivantes et notamment à Scream. Craven parle de la place de l'écran de télévision dans son cinéma, notamment en tant qu'effet de distanciation, comme pour montrer l'artifice de tout divertissement audiovisuel. Son intention est de rendre les spectateurs conscients du média en les hypnotisant, c'est à dire en maintenant l'illusion première du cinéma : en faisant croire à la réalité de ce qui se passe à l'écran, et en opérant ensuite une distanciation. Cela permet au spectateur de se rendre compte des différents états dans lequel il se trouve pendant qu'il regarde un film. Pour Craven, regarder un film ou la télévision revient à être inconscient d'une certaine manière, il veut rendre le spectateur conscient de son état, critique par rapport à ce qu'il voit.


Ainsi, je vois Scream comme une critique de la société du spectacle. Là où la morale des slashers des années 70 semblait dire (comme le souligne le personnage de Randy) « Ne fait pas l'amour, ne boit pas et ne te drogue pas ou sinon tu vas mourir ! » (ce qui est sans doute assez contestable si on regarde les films en détail je pense, mais c'est l'idée qu'a gardé le public de ses œuvres), la morale de Scream semble plutôt dire qu'il faut avoir un rapport direct avec le réel, sans se laisser contaminer par les reflets de l’événement. Par exemple, le proviseur meurt car il a eu peur de son reflet dans le miroir ; dans le garage Tatum meurt car elle ne prend pas au sérieux le tueur caché sous le déguisement qu'ont portés un certain nombre d'étudiants le jour même au lycée.


L'une des scène-clé de Scream met bien en évidence ce phénomène : la journaliste dans l'espoir de capter des images intéressantes pour son reportage place une caméra dans la maison au dessus de la télévision. Randy, fan de films d'horreur, regarde Halloween de John Carpenter sur la télévision du salon, et, dans une réaction extrêmement classique de spectateur, tente de prévenir l’héroïne d'Halloween du danger qu'elle court : le tueur est derrière elle.


On assiste donc à une première situation : Jamie Lee Curtis tournant le dos au tueur et prévenu par Randy. Simultanément, Sidney et l'assistant de la journaliste sont dans le car-régie et peuvent voir le tueur derrière Randy alors que ce dernier est absorbé par Halloween, ils tentent à leur tour de le prévenir. Mais comme nous l'apprenons plus tôt dans le film, la caméra a un délai de 30 secondes, l'assistant se rend compte trop tard que le tueur est derrière eux au même moment. Cette fois-ci c'est le spectateur lui-même qui tente de les prévenir.


Dans cette scène, le tueur est donc présent simultanément derrière 3 personnes, nous regardons un personnage menacé qui regarde un personnage menacé qui lui-même regarde un personnage menacé. Cette mise en abyme très inventive, joue sur le phénomène d'accumulation : l'événement est noyé sous ses représentations et dans la continuité de ces différentes situations qu'est-ce qui empêche le tueur d'être alors derrière nous, spectateurs ? N'y a t-il pas quelqu'un nous regardant à notre tour regarder ? La perspective de l'infinie nous permet alors de douter de notre condition même de spectateur, regardant une fiction en sachant que c'est une fiction, mais en succombant tout de même à la crédulité. L'assistant de Gale, bien que conscient du décalage de 30 secondes, croit avec fermeté à la véracité de ce que lui montre l'écran et c'est tout là son erreur.


Dans ce film post-moderne, ce n'est plus le péché qui est sanctionné mais une faute intellectuelle, voire philosophique : simplement la relation au monde.


Ainsi Craven nous met en garde vis-à-vis du rapport au réel dans notre société qui devient de plus en plus "connectée" et qui pourtant se déconnecte de la réalité. Cette idée sera à nouveau présente dans Scream 4, qui une dizaine d'années après Scream, remet en scène les événements du premier mais dans un monde qui a évolué. Les règles changent, les écrans sont encore plus omniprésents, les caméras de surveillance se multiplient, le tueur veut poster les vidéos de ses crimes sur Internet et le nombre de morts est beaucoup plus important comme si l'évolution des technologies pouvait être couplé à des comportements plus violents et brutaux. Et c'est exactement ce que Craven répond en 1990 lorsque le journaliste lui demande pourquoi il n'a pas confiance en l'évolution des technologies.



« Le cauchemar du 20ème siècle est que les phénomènes les plus
technologiquement avancés ont été couplés avec les plus primitifs et
brutaux [...] il y a toujours eu cette incroyable juxtaposition du high
tech et de la bestialité. »


Clormer
9
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le 5 juil. 2015

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Clormer

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