Une décennie.


Une décennie après le magistral Mémories of Murder, le duo Bong Joon-ho / Shim Sung-bo est de retour pour un de ces thrillers violents et sanguinolents à forte connotation social comme la Corée les concocte si bien. Pour son premier film derrière la caméra, Shim Sung-bo adapte une pièce de théâtre, elle-même tirée d’une histoire vraie, incroyablement macabre.


Chalutier chahuter


1998, l’équipage du « Junjin », chalutier vétuste, rouillé et décoloré, travaille ensemble, soudé et souriant, sous le regard de leur commandant. Mr Kang. Les marins fument sur le pont, déroulent de longs filets de pèches entremêlé, accrochent le linge trempé sur de veille poutres à la couleur depuis longtemps délavé, mangent ensemble dans l'ombre de veilles structures métalliques grisonnantes. Un perpétuel ballet, au rythme de la mer. Le calme avant une plongée glaciale au cœur des ténèbres. Le commandant Kang, touché par la crise économique, ruiné et un bateau en ruine, a désespérément besoin de cash pour sauver son rafiot grinçant et son équipage. Toute la magie des titres français opère alors. Pour se faire de l’argent, il va faire passer, oh surprise, des clandestins dans la cale du vieux « Junjin ». Des sino-coréens.


Et la situation leur échappe, leur glisse doucement entre les doigt, sans qu'ils ne s'en rendent vraiment compte, avant de revenir brusquement leur asséner un uppercut violent et dévastateur. Sea Fog est une descente en enfer viscérale portée par une réalisation brute et directe, enrobée dans de jolis plans, soigneusement mis en scène. Un voyage cauchemardesque vers la sauvagerie d’hommes ordinaires perdus dans une situation qui les dépasse, dans un monde cruel et sans moral. Un voyage vers les ténèbres, magnifié par une ambiance pesante, noircissant à mesure que le temps passe, émergeant d'un brouillard magnifique. Une succession de plans très rapprochés, un peu trop nombreux, et de plans d’ensembles, un peu trop rare, entrecoupés de scènes d’action malheureusement filmées par un de ces nombreux cameraman touché par Parkinson.


Boucherie, brouillard et bouleversement social


Shim construit intelligemment différentes atmosphères dans les différentes partie du bateau. Le pont, nacelle en équilibre sur l’eau, ballotté par la mer, fouetté par le vent et les éléments qui l’assiègent. La salle de couchettes exiguë, ses lits superposés, son absence d’intimité et les marins qui s’y entassent. La salle des machines, unique refuge chauffé, labyrinthe de tuyaux métalliques, de cadrans et de manettes, et la vapeur qui la plonge dans une brume permanente. La cale, trou béant et froid, entrailles vides et métalliques, et les clandestins qui y croupissent. Et enfin, la petite salle des commandes, en hauteur, surplombant tout le reste et tout le monde, et Mr Kang qui y règne. Le contraste entre l'étroitesse métallique du bateau et l'immensité naturelle qui l'entoure et parfaitement retranscrit. Huit clos à ciel ouvert, perdu entre ciel et mer.


Sea Fog est aussi et avant tout un film social qui s’appuie intelligemment sur la brutalité d’une histoire vrai révoltante pour contester une réalité sociale. La montée du capitalisme qui avale les professions artisanales et la classe populaire coréenne pour les recracher complètement nus. Le développement du business de l’immigration clandestine, sa prise en chasse par les autorités et les situations horribles qui en découlent pour les migrants clandestins. La corruption des officiels qui créent ou ignore des situations inhumaines, échanges des vies humaines contre quelques billets.


Sea Fog est un film pluriel, à la fois thriller musclé, survival épique, descente en enfer brutale, romance touchante, comédie de mœurs, drame social et film d’horreur macabre. Un récit brut et sans compromis, passionnant et dérangeant, fascinant et inquiétant.


La construction du film accentue le caractère macabre de la situation et offre au passage quelques passages mémorables. Comment oublier le calme du chalutier et la camaraderie de l’équipage pendant la magnifique séquence inaugurale, l’embarquement chaotique et cauchemardesque des clandestins, ces scènes macabres flottant à jamais dans un épais brouillard ou ce dernier acte onirique à la chorégraphie poignante ?


Marquant.

Clode
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2015

Créée

le 3 avr. 2015

Critique lue 670 fois

3 j'aime

Clode

Écrit par

Critique lue 670 fois

3

D'autres avis sur Sea Fog : Les Clandestins

Sea Fog : Les Clandestins
Vivienn
7

En pleine tempête

Passé l’excitation de retrouver Bong Joon-ho et Shim Sung-bo à la co-écriture d’un même film, plus de dix ans après Memories of Murder, difficile de contenir son impatience : et pourtant, c’est...

le 1 avr. 2015

38 j'aime

Sea Fog : Les Clandestins
LeBarberousse
7

Chronique d'un naufrage annoncé

Depuis ces vingt dernières années des réalisateurs tels que Park Chan-Wook, Kim Jee-Woon, Na Hong-Jin, Hong Sang-Soo, Lee Chang-Dong, Kim Ki-Duk, Im Sang-Soo ou Bong Joon-Ho pour ne citer qu’eux ont...

le 10 nov. 2014

23 j'aime

1

Sea Fog : Les Clandestins
Gand-Alf
7

Dans la brume électrique.

Scénariste du grandiose Memories of Murder, Shim Sung-Bo passe le cap de la mise en scène avec Sea Fog, sous le parrainage du cinéaste Bong Joon-Ho, également co-scénariste de ce premier essai très...

le 21 mars 2016

19 j'aime

Du même critique

A Beautiful Day
Clode
7

Un sourire

Joe aime les marteaux. Les marteaux noirs en acier, avec écrit dessus "Made in Usa" en petites lettres blanches. Dans sa main, les marteaux paraissent petits. Les marteaux sont gros, aussi gros qu’un...

le 9 nov. 2017

54 j'aime

4

Juste la fin du monde
Clode
4

La famille hurlante

Au sein de la famille de Louis, ils ne se ressemblent pas tellement. Non. Pour commencer, ils ne se ressemblent pas beaucoup physiquement. La famille de Louis n’est pas une de ces familles où tout le...

le 27 sept. 2016

53 j'aime

12

Deadpool
Clode
5

Bites, culs, prouts

C'est l'histoire d'un chat qui s'appelle Christian. En tout cas, c'est le nom que lui donnent les gens. Christian est un de ces chats qui se balade partout dans la ville sans que personne ne sache...

le 12 févr. 2016

51 j'aime

8