Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Second Tour
6.1
Second Tour

Film de Albert Dupontel (2023)

Peut-on continuer à faire un cinéma de marginaux lorsque l'on est adoubé par le système ?

Lors de l'avant-première en présence de Dupontel à laquelle j'ai la chance d'avoir pu assister, plusieurs étudiants en fac de ciné n'ont pas manqué d'exprimer au réalisateur, toute l'admiration qu'ils portaient à son cinéma et à quel point celui-ci avait pu susciter en eux leur vocation de futurs cinéastes. Des hommages touchants de sincérité qui m'ont ramené une décennie en arrière, à l'époque où l'ado que j'étais s'était également pris en pleine face cette œuvre si singulière dans le cinéma français. Seulement, alors que l'influence de ses productions passées n'est plus à démontrer, je me suis demandé si ce film-là en particulier, aurait été capable de susciter les mêmes émois chez les jeunes spectateurs d'aujourd'hui.


Car il est évident que l'artiste marginal des années 90/2000 qui faisait ses cartoons trashs remplis d'humour noir sur fond de misère sociale, s'est considérablement assagit au fil des années et particulièrement depuis la sortie d'Au-revoir Là-haut, drame historique nettement plus "césarisable", porté par un sentimentalisme jusqu'ici absent de son œuvre et qui par la suite, ne le quittera plus. Si l'excellent Adieu les Cons conservait encore un certain équilibre entre le Dupontel punk des débuts et le Dupontel fleur bleue de ces dernières années, il semble désormais que le second ait pris le dessus sur le premier.


Second Tour a beau revêtir une mise en scène sophistiquée, convoquant énormément de références stylistiques chères au réalisateur, cette dernière ne nous surprend plus. Elle ne contribue plus à ancrer le récit dans un univers cartoonesque en dehors du monde réel, car cette dimension-là ne fait plus parti du langage de l'artiste. Dupontel conçoit maintenant son film comme une fable humaniste qu'il souhaiterait certainement pleine d'émotions et de poésie. Sauf que dans les faits, son scénario est surtout d'une niaiserie confondante.


L'humour (moins présent et plus poussif que d'habitude) passe presque exclusivement par les pitreries du comic-reflief de service, un vieux caméraman un peu neuneu avec une culture encyclopédique du football. Les gags à son endroit ne font pas forcément mouche et s'insèrent mal dans le reste du métrage. Ils sont toutefois un peu rattrapés par la sympathie naturelle de Nicolas Marié, cabotinant comme jamais pour notre plus grand plaisir.


Quant au fond politique, il est aussi creux et démago qu'un discours de Fabien Roussel. Plus prompt à critiquer les institutions sur Thinkerview que dans ses propres films, le cinéaste se contente ici d'enfoncer des portes ouvertes. Il met en exergue "les forces de l'ombre" empêchant l'arrivée au pouvoir d'un candidat au programme bénéfique pour le pays, sans jamais nommer ou représenter d'aucune manière ces fameux "agents de l'ombre". Peut-être pour que son public de conspi/boomer/anti-vax puisse y projeter ce qu'il a envie d'y voir, à moins que le sujet de son film ne se trouve ailleurs.


En l'état, le pitch initial d'un homme cherchant à s'accaparer le pouvoir avec l'aide d'élites qu'il compte trahir en appliquant un programme de rupture, c'était du pur génie, et on tenait là une solide base pour un thriller politique de haute volée. Or cet aspect est finalement très secondaire au sein du récit. Les trois-quarts s'évertuant à révéler ce que l'on sait déjà, au cours d'une enquête laborieuse et dénuée d'enjeux. Une fois les twists révélés, l'intrigue gagne enfin en intensité, mais l'ensemble manque malgré tout de péripéties, d'aventure et de suspens pour se suivre avec suffisamment d'intérêts. Dupontel préférant mettre l'emphase sur la relation cul cul au possible entre son personnage de politicard et le frère caché de celui-ci. Frère qui trouvera son utilité dans LA scène clé du long-métrage. Je parle évidemment du fameux débat télévisé, sans doute la séquence la plus plus drôle et la plus intense de tout le film même si, là encore, l'idée aurait pu être encore plus exploitée.


Il me parait évident que Dupontel était surtout attaché à l'opposition entre la figure d'un politicard, contraint de jouer le jeu du système pour faire valoir son programme, et celle de ce frère simple d'esprit, se contentant d'exprimer sa vérité sans faux-semblant. Sauf que cette idée fondatrice se retrouve noyée dans une intrigue de thriller qui ne l'inspire pas vraiment, et dont il ne savait visiblement pas quoi foutre. En résulte donc une œuvre brouillonne et avare en émotions même si, paradoxalement, elle ne cesse de vouloir en procurer par de risibles artifices.


Le réalisateur m'apparaît comme n'étant plus franchement en phase avec son temps ni avec son art. Son film n'est certes pas exempt de qualités et reste tout de même divertissant, mais il n'a plus cette étincelle créative qui rendait ses précédentes œuvres si inspirantes. Et en même temps, n'est ce pas la suite logique pour ce cinéaste marginal devenu, en 27ans, l'un des réalisateurs les plus bankables de son pays ? Peut-on continuer à faire un cinéma de marginaux lorsque l'on est adoubé par le système ? Voilà la question à laquelle il devrait répondre dans sa prochaine réalisation.

AlfredTordu
4
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Mon Top Albert Dupontel et Films découverts en 2023

Créée

le 7 oct. 2023

Critique lue 398 fois

7 j'aime

2 commentaires

Alfred Tordu

Écrit par

Critique lue 398 fois

7
2

D'autres avis sur Second Tour

Second Tour
Plume231
3

Abstention !

Après le désespoir absolu, donc la lucidité, d'Adieu les cons, qui lui a valu un très joli nombre de spectateurs ainsi qu'une belle moisson de César, Albert Dupontel s'enlise bizarrement dans une...

le 26 oct. 2023

35 j'aime

9

Second Tour
CinemAd
7

Twain, Chaplin, Mickey et Albert

Le virage pris par Albert Dupontel depuis "9 mois ferme" fait des merveilles. Plus équilibré, plus sensible, son cinéma gagne depuis sur tous les plans avec cette exigence formelle qui le caractérise...

le 16 juin 2023

27 j'aime

3

Second Tour
Cinephile-doux
4

Ballottage défavorable

Dupontel le dit lui même, Second tour n'est en aucun cas un brûlot politique et pas non plus un film témoignant d'une l'indignation à la Ken Loach. C'est un documentaire consacré à Robert Kennedy,...

le 7 sept. 2023

23 j'aime

1

Du même critique

Pourquoi j'ai Raison et vous avez Tort
AlfredTordu
10

Où en est ma relation avec Dudu ?

Cela fait presque 1 an maintenant que les émissions web sont "tolérées" sur le site et bizarrement l'une des premières à avoir été ajouté en toute légalité est aussi l'un des web-shows les plus...

le 14 mars 2015

71 j'aime

49

Le Cinéma de Durendal
AlfredTordu
6

Pourquoi tant de haine ?

Très cher Moizi. Ma démarche va te paraître surement prétentieuse et méchante. Tu vas te demander pourquoi sur le nombre conséquent de personnes qui ont crachés plus que de raisons sur le travail de...

le 2 mai 2014

66 j'aime

49

Réalité
AlfredTordu
3

J'aurais préféré voir Waves.

Fan inconditionnel de Dupieux depuis son premier film, j'attendais impatiemment de voir son dernier né afin de pouvoir y retrouver le même univers décalé, original, fun et hilarant de ses précédentes...

le 20 févr. 2015

60 j'aime

14