Seul contre tous
7.2
Seul contre tous

Film de Gaspar Noé (1999)

« On naît seul, on vit seul, on meurt seul »

« On naît seul, on vit seul, on meurt seul. Et même quand on baise on est seul. Seul avec sa chair, seul avec sa vie qui est comme un tunnel qu'il est impossible de partager. Et plus on est vieux, plus on est seul face à quelques souvenirs d'une vie qui se détruit au fur et à mesure. Une vie, c'est comme un tunnel. Et à chacun son petit tunnel. Mais au bout du tunnel, il n'y a même pas de lumière. Il n'y a plus rien. Même la mémoire se décompose avant la fin. Les vieux le savent bien. Une petite vie, des petites économies, une petite retraite, et puis une petite tombe. Et tout ça, ça ne sert à rien. Strictement à rien. »
Seul Contre Tous est le premier long-métrage de Gaspar Noé, faisant suite à son moyen, Carne. On y suit la descente aux enfers d'un boucher à la vie misérable, au crochet de « sa grosse » et de « la vieille », le tout sous fond de monologue interne.


Si le prémisse d'une descente aux enfers et d'un pétage de plombs progressif en immersion totale dans l'esprit torturé d'un protagoniste principal n'est pas sans rappeler un certain Taxi Driver, Seul Contre Tous se distingue avant tout par deux points : son contexte et son réalisateur.
N'est pas Martin Scorsese qui veut, et quelqu'un veut-il réellement être Gaspar Noé ? Seul Contre Tous transpire déjà ce qui fait le sel du cinéma subversif de Noé, tant par les codes introduits que par la récurrence et l'utilisation brillante de ceux-ci. Ainsi, la voix-off faisant part des pensées du boucher sera, lors d'une scène de panique et d'incompréhension, multipliée et déstructurée avec un ensemble de discours incohérents se chevauchant pour ne faire place qu'à une seule question : l'ai-je vraiment fait ? Celle-ci nous immerge véritablement dans les pensées du personnage, nous permettant de nous attacher à celui-ci alors que ses actions nous répugnent, mettant nos repères moraux à mal. Après tout, ses actions ne seraient-elles pas justifiées et justifiables ? Par sa vie, par le contexte dans lequel celui-ci évolue...
Car en effet, le contexte occupe ici une place essentielle dans l'histoire de Seul Contre Tous. Seul contre qui ? Qui est « Tous » ? La France, ses habitants, les plus aisés et méprisants, mais aussi les plus pauvres et répugnants, ceux dont la vie ne se résume plus qu'aux couleurs rouge, vert, bleu d'un écran cathodique, les « pédales », les étrangers, bref, tous. C'est dans une France en crise de la fin des années 90 que se déroule notre histoire. Une France qui n'a plus besoin de notre personnage principal, une France qui préférerait le laisser crever dans la rue, lui et tous les autres miséreux. Une France que Noé nous montre dans toute sa crasse et sa saloperie avec un filtre jaune pisse omniprésent. Les rues sont sales, les gens sont sales, et le peu de morale du boucher se retrouve lui aussi, entaché.
Mais qu'est-ce que cette morale ? Est-elle vraiment positive ? « L'homme a une morale ». C'est ce que nous indique Noé à la fin du film à travers l'un des nombreux panneaux qui se succèdent durant le métrage. Ainsi, alors que le protagoniste principal s’apprête à mener son combat, tant comparable à une lutte des classes qu'à une simple vendetta personnelle, se comparant lui-même à Robespierre, avec pour seule loi son flingue, c'est sa morale qui l'empêchera d'agir. On assiste alors à un retour au statu quo au combien déprimant, le boucher reprenant sa place de miséreux alcoolique aux côtés de sa fille traumatisée, paralysé dans sa situation, incapable d'agir, laissé seul avec son désir de révolte violente et le désir qu'il a pour sa fille.


Seul Contre Tous c'est ça, un film sale, déplaisant, pessimiste et qui ne fait aucune concession. Seul Contre Tous c'est un panneau nous avertissant que les choses vont être encore pires, et qu'il vaudrait mieux arrêter la projection du film tant qu'on le peut encore, le tout avec un timer de 30 secondes. 30 longues secondes où l'on est partagé entre l'envie d'arrêter le film, l'estomac et le cœur retournés, et le besoin de continuer, alors que l'on est embarqué dans la boucle infernale de son protagoniste principal. C'est un film fort qui n'hésite pas à nous faire aimer des êtres détestables, et à nous montrer un Paris répugnant, peuplé de personnages au moins aussi répugnants. Une descente aux enfers, tant pour le protagoniste principal que pour le spectateur, qui se conclue de la façon la plus insatisfaisante mais réaliste possible, car le vie c'est ça, « ça ne sert à rien. Strictement à rien. ».

Fayrop
7
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le 14 oct. 2018

Critique lue 2.2K fois

2 j'aime

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