Sorti en 1999 et réalisé par Gaspar Noé, Seul contre tous est une œuvre profondément nihiliste et pessimiste, à l'image de toute la filmographie de ce cinéaste très controversé et sulfureux. C'est le premier long-métrage de Gaspar Noé, qui est en fait la suite de son premier moyen-métrage Carne (1991). Au casting de ces deux films, on retrouve le regretté Philippe Nahon dans la peau du Boucher et Blandine Lenoir qui interprète sa fille. Seul contre tous, c'est violent, brusque, cru et c'est presque sans limites. On est dans la droite lignée de Carne, voire même au-delà. Bref, c'est un film à ne pas mettre entre toutes les mains et il faut se préparer à recevoir un coup de poing, dans tous les sens du terme.
Aprés les évènements décrits dans Carne, on retrouve donc le boucher dont la vie est en plein déclin. Aprés avoir fait de la prison, il suit un programme de réinsertion et essaie de refaire sa vie, mais il méprise complètement toutes les personnes qui gravitent autour de lui et plus encore sa maitresse (Frankie Pain) qui est enceinte de lui. Il n'y a que sa fille, nait d'une relation précédente, qu'il l'aime profondément, d'un amour fort et intense ... voire même incestueux. En gros, sa nouvelle vie ne lui convient pas, il décide alors de retrouver sa fille et un nouveau boulot qui lui convienne mieux. Mais voilà, nous sommes au milieu des années 80 et les difficultés économiques se traduisent par un chômage élevé en ces temps là ... les temps son durs, quoi ! Bref, il a plus ou moins envie d'en finir avec tout ça et d'entrainer tout le monde avec lui.
Raciste, homophobe et incestueux, Le boucher est un personnage détestable et haineux. Et la force du film, c'est de vous faire ressentir de la compassion pour ce personnage qui est un pur salopard. Ou tout du moins, on lui trouve des circonstances atténuantes, car c'est un homme perdu, abandonné par la société et qui n'a plus aucun espoir. Et on peut dire que la société ne l'aide vraiment pas à se ressaisir, au contraire, elle contribue à l'enterrer encore plus bas sous terre. C'est une véritable descente en enfer, qui nous fait réfléchir sur le genre humain et au sens plus large, sur la société dans laquelle nous vivons. Car si cet anti-héros en arrive là, c'est parce qu'il a souffert dans sa jeunesse, abusé par son père et abandonné par sa première femme avec sa fille (évènements décrits dans Carne).
Le casting contribue beaucoup au succès du film, avec des acteurs de second rôles qui ont une véritable "tronche" ... mention spéciale pour Frankie Pain qui joue la maitresse du boucher. Et que dire de la performance de Philippe Nahon, qui utilise son physique et sa voix (notamment pour la voix off du film) pour construire un personnage absolument répugnant. Et puis niveau mise en scène, c'est un film qui vous prend aux tripes. Que ce soit sur la forme ou sur le fond, c'est un film nihiliste et brute de décoffrage, sans artifices. Cette voix off entêtante est un subterfuge très efficace pour nous faire entrer dans la tête du boucher. Il nous fait ressentir sa solitude (seul contre tous) et son besoin de justice. C'est un personnage amoral qui se sent victime d'une injustice. Or, s'il n'y a pas de justice dans notre société, il n'y a pas de moral à avoir.
Sans nous encourager à agir comme le boucher, le film nous questionne sur comment on gère l'amour et la haine qui nous habitent. Le boucher est pris dans un cercle vicieux, puisque la haine qui l'habite nourrit son amour incestueux pour sa fille, jusqu'à ce qu'il pète les plombs ...
Alors qu'il est sur le point de perdre la raison, il se met à divaguer et finit par envisager d'avoir des relations sexuelles avec sa fille, avant de la tuer. Après la représentation de ce fantasme, le film revient au moment présent avec le boucher qui retrouve la raison et renonce à passer à l'acte ... avant de se raviser de nouveau, mais cette fois-ci il passe vraiment à l'acte et abuse sexuellement de sa fille. Et bien sûr, il se trouve (toujours) toutes les excuses du monde pour agir ainsi.
Bref, Seul contre tous est un film fort, violent et éprouvant. Ce style brute de décoffrage et sans la moindre concession, c'est ce qui caractérisera par la suite le cinéma de Gaspar Noé. A ne surtout pas mettre entre toutes les mains.