Seul contre tous
7.2
Seul contre tous

Film de Gaspar Noé (1999)

La vie est égoïste. La survie est génétique.

Critique à chaud. Années 1980. Le boucher (incarné par le fabuleux Philippe Nahon), sorte de Caïn Marchenoir des Temps modernes partageant avec ce dernier une haine viscérale du genre humain et du monde qui l'entoure, est un condensé de vices et de vertus pataugeant dans le purin d'une société d'apparences qu'il méprise pour sa médiocrité. Ce métier, justement, n'a pas été choisi au hasard : représentant à la fois une sorte de violence morbide à la Delicatessen, mais également l'aspect charnel du cinquantenaire, porté sur la bonne chère et sur la bonne chair (des délicates pucelles), cette égérie d'une « classe déclassée » n'inspire à l'origine que revulsion. Malgré cela, l'on ne peut s'empêcher d'éprouver une empathie immanente à la vue du quotidien miséreux (pour ne pas dire misérable) d'un provincial membre d'une France qui se lève tôt, soumis à une truie perfide et abjecte, et à sa belle-mère d'autant plus atroce. Le boucher est un syncrétisme à lui seul : chrétien mais anticlérical, misogyne mais possédant une passion libidineuse et dévorante pour les jeunes femmes (passion qu'il réservera à sa propre fille), xénophobe, patriotard mais communiste et haïssant ce pays de « faux-culs » et d'invertis qu'est devenue la France, l'anonyme vicelard représente parfaitement cette petite bourgeoisie désabusée et victime d'un système qui l'a retournée après trente-cinq ans de bons et loyaux services, ne lui laissant plus rien sinon sa dignité humiliée. Dans cette société déclinante de la fin du deuxième millénaire, sclérosée par plus d'un siècle d'un capitalisme paupérisant, ce poujadiste néo-prolétaire, remplacé par des bicots au sein de sa boucherie, harcelé par une dinde crasseuse ayant oublié le sens des valeurs morales et des bonnes manières, soumis au mépris d'un bourgeois décadent et homosexuel qui, jadis son fournisseur en viande chevaline se plaît à présent à le mépriser avec délice, ne voit comme exutoire et comme pierre angulaire de sa destinée qu'une violence crue, qui à elle seule saura le protéger de l'amoralité d'une société qu'il abhorre. N'ayant pas grande considération ni pour l'amitié, ni pour l'amour, jugeant que ces deux finalités relationnelles ne sont mûes que par des intérêts mercantiles ou égoïstes (tout comme la vie elle-même semble l'être), notre ami des canassons se réfugie finalement dans le seul amour qui pourrait le transcender, celui de sa fille, Cynthia. Noé réussit ici un pari risqué, celui de l'acceptation de l'innommable par le spectateur, via une subtile exaltation de l'amour incestueux, dans un final grandiose et quasi-mystique, tout du moins onirique. La violence, dans ces scènes peut-être légèrement dure à visionner, laisse place, malgré une tension toujours présente, à un éloge d'une sentimentalité enfin retrouvée et d'un amour pur dans son caractère interdit et intrafamilial, loin du cadre sentimental bourgeois peut-être un peu trop étriqué voire puritain, sans tomber ni dans le vulgaire, ni dans l'obscène. On appréciera donc la pudeur du réalisateur qui nous diffusera en lettres capitales un décompte nous prévenant de la violence des scènes finales, violence s'avérant n'être qu'un songe terrifié de l'âme perdue de notre ami, peut-être dernière barrière morale, sur-moi freudien bien vite écarté et dominé par l'émotion ressentie par l'homme à l'égard de celle qui à l'hymen intact et aux idées vides, fut conçue il y a bien des années par son grand amour. Avec un soliloque permanent de détestation pure, ne trouvant de répit que face à ses semblables parfois plus bas que lui, des effets sonores impromptus (et parfois un peu trop récurrents voire désagréables) rappelant à chaque instant la mort incarnée dans le revolver du personnage, mais aussi visuels via une caméra démente et des apophtegmes chocs sur fond noir, Seul contre tous, premier long-métrage de Noé, est probablement son chant du cygne, tout le reste n'étant qu'une longue agonie faite de violence sans idées, sans message et sans but, et de sadisme pervers d'un dégénéré sexuel probable, qui ne dérange pas la morale bourgeoise par anticonformisme mais plutôt par un plaisir ignoble, décrivant l'innommable afin de faire souffrir son spectateur et lui montrer une réalité dont il connaît les tenants et aboutissants dont il essaye justement de préserver sa vue, non pas par lâcheté mais pour simplement conserver intacte sa santé mentale. Ce film, contrairement à ses successeurs, peut à juste titre être considéré comme de l'art, parce qu'il donne matière à penser : le reste de sa filmographie ne provoque que dégoût et rejet. Alors que certains cinéastes de cette génération ont su se transcender avec brio, Noé a raté le coche. Tant pis pour lui.

RolandeLegrand
7
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le 26 juil. 2025

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