SEULE LA TERRE (14,9) (Francis Lee, GB, 104min) :


Homme de théâtre, pour son premier passage derrière la caméra Francis Lee livre une rugueuse chronique sociale et une vibrante relation amoureuse homosexuelle dans l'univers rural âpre du West Yorkshire. Originaire de la région et passionné par la photographie, dès les premiers plans sur la ferme familiale isolée dans le brouillard et les pentes des Pennines le réalise plante le décor dans une gamme chromatique qui renvoie au travail d'Andrea Arnold pour Les Hauts de Hurlevent (2011). L'auteur installe avec langueur sa description méticuleuse, quasi documentaire du quotidien d'une famille d'agriculteur où le fiston Johnny doit suppléer son père castrateur à la santé précaire (suite à un A.V.C) et sa grand-mère trop âgée pour se "tuer" aux rudes labeurs loin de la modernisation. La caméra par petites touches impressionnistes rend hommage à la difficulté du monde paysan et au manque de main d'œuvre locale, l'Europe de l'Est venant palier à ce déficit à l'heure où la Grande Bretagne s'est isolée un peu plus par le vote du Brexit. Pour échapper à cet environnement anxiogène entre les injonctions du père et le travail Johnny s'abandonne à l'abus d'alcool dans les pubs et aux plaisirs de la chair sur des corps masculins. L'arrivée d'un jeune roumain saisonnier pour seconder le fiston aux travaux de l'exploitation agricole, va accentuer la sensorielle mise en scène dépouillée, mélangeant les émois humains en adéquation avec la nature sauvage lors de séquences plus crues où la solitude de deux êtres se retrouvent dans l'union abrupte des corps. Le long métrage se transforme peu à peu du rude récit psychologique d'apprentissage de la relation sentimentale entre deux hommes et la conscience de soi à une rédemption plus douce qui permet l'acception de soi et petit à petit la bienveillance de l'entourage, quant à l'orientation de vie choisit par Johnny. Un parcours initiatique aux tourments chaotiques comme le climat de la région décliné par une narration romanesque en faisant des clins d'œil évidents au magnifique mélodrame de Ang Lee, Le Secret de Brokeback Moutain (2005). Ce long métrage à la poésie brute bénéficie d'une écriture scénaristique subtile évitant ainsi notamment les clichés trop homophobes, qu'on pourrait par paresse d'esprit voir apparaître dans ce milieu agricole à connotation traditionnaliste ou conservateur. Tout au long de cette romance intense la caméra transcende l'état émotionnel de ces deux intenses acteurs principaux, Josh O'connor et Alec Secareanu aux incarnations inspirées. Ce coup d'essai prometteur pour l'avenir de son réalisateur, s'avère être une épatante peinture naturalise sans misérabilisme à découvrir avec bienveillance. Une œuvre dense comme Seule la terre peut vous apporter en maelström de sensations. Austère. Lyrique. Fiévreux. Délicat.

seb2046
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le 8 déc. 2017

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