Début des années 90.Collette McVeigh,petit soldat de l'IRA,fait foirer volontairement l'attentat à la bombe qu'elle devait perpétrer dans le métro londonien.Parce que la guerre dure depuis trop longtemps,parce que l'état-major du mouvement commence à négocier avec les anglais,parce que surtout c'est une femme et que sa sensibilité s'accommode mal du massacre d'innocents.De toute façon,son entreprise était vouée à l'échec car le MI5 la surveille étroitement,elle et sa famille.De fait,elle est arrêtée dans la foulée et présentée à Mac,agent des services secrets froid comme une lame,qui la contraint à devenir son indic au sein de l'armée séparatiste en lui faisant du chantage,la menaçant de ne plus revoir son petit garçon,qu'elle élève seule.La vie de Collette,contrainte de trahir les siens,va devenir un enfer,tandis que des pièges se referment inexorablement sur les protagonistes,car la situation se révèlera encore plus complexe qu'il n'y parait.Le réalisateur James Marsh,plutôt réputé comme documentariste,applique effectivement ici les techniques du documentaire et livre un film réaliste et factuel,au rythme lent et avare de dialogues,se déroulant à travers les décors désolés de Belfast.Ce qui s'adapte parfaitement à l'excellent scénario,tordu au possible,de l'écrivain-journaliste Tom Bradby,qui l'a tiré de son propre roman.L'histoire est d'une richesse exceptionnelle et brasse de nombreux thèmes.La question irlandaise,évidemment."Shadow dancer" s'inscrit dans la lignée des grands films sur le sujet,"Bloody sunday" de Paul Greengrass,"Michael Collins" de Neil Jordan,ou "Au nom du père" et "The boxer" de Jim Sheridan.Si l'on s'interroge à propos de la légitimité de la lutte irlandaise,la réponse est oui,elle est légitime,ainsi que celle de tout pays envahi par une puissance étrangère.Curieux d'ailleurs que la Grande-Bretagne soit considérée comme une belle nation démocratique au vu de ses exactions passées.Beaucoup ont critiqué les modes d'action de l'IRA.Eh oui,mais où finit la résistance,et où commence le terrorisme?Et que faire quand on est vaincu sur le terrain par une force militaire bien supérieure en nombre et en moyens?Abandonner la partie?Baisser son froc?A ce compte-là,nous vivrions encore sous la botte allemande.Qui considère les FFI comme des terroristes?Le combat des irishmen était donc mille fois justifié,sauf que....Sauf qu'il avait encore bonne presse tant que les attentats restaient ciblés et s'attaquaient à des représentants de l'oppression britannique.Mais les attentats aveugles,les bombes déchiquetant des civils,ont finalement été contre-productifs et ont terni l'image du mouvement,qui s'est peu à peu effiloché.D'ailleurs,le film se situe à un moment clé du conflit.Les chefs de l'IRA,sentant que la partie leur échappe,commencent à négocier,alors que la frange la plus déterminée de l'armée,sentant le vent tourner,se radicalise et multiplie les actes de guerre afin de saboter les pourparlers de paix.Ce qui n'empêchera pas les choses d'aller dans le sens de l'Histoire,même les irréductibles irlandais finissant par se coucher comme des clébards devant la sinistre Albion.Et au milieu de ce bordel,il y avait des gens,et c'est là que se pose le problème de la Cause,et celui de l'humanité.Faut-il tout sacrifier à une Cause?Une Cause,perçue comme supérieure,réclame une fidélité absolue et rend tout le reste insignifiant.Chez les McVeigh,tout le monde est dans l'IRA,Collette,sa mère,ses deux frères,et dans la branche radicale,celle qui ne veut pas transiger avec l'ennemi.En apparence du moins,car les deux femmes ne mettent pas la Cause au-dessus de tout et préfèrent privilégier la protection de leurs enfants.Les hommes sont plus durs,plus inflexibles,et ils aiment faire la guerre,les femmes beaucoup moins.Alors ils mettent leur humanité de côté et acceptent de faire des trucs atroces si la Cause le demande,les femmes n'y parviennent pas.Le film met également en avant les ravages de la lutte clandestine sur la psyché des personnages.Tous sont paranos,tous se méfient de tous,personne n'a confiance en personne,et ce à juste titre car,entre mensonge et manipulations,les protagonistes sont soumis à de sévères déchirements intérieurs.Autre habileté du scénario,ces manigances traversent les deux camps,qu'il s'agisse des militants irlandais ou de la police anglaise.Chacun est un pion sur un échiquier vicieux,tout en croyant contrôler les autres.Gerry,fidèle à la Cause jusqu'au bout,acceptera la destruction de sa famille.Kevin,son chef,sorte de commissaire politique impitoyable à la soviétique,est prêt à tuer autant de personnes qu'il le faudra,y compris dans ses propres rangs,afin de faire triompher ses idées.Mac va s'apercevoir que sa hiérarchie le double et que l'opération qu'il a montée n'est destinée qu'à en masquer une autre,Collette étant juste un pion à sacrifier,ce qui se complique quand il tombe amoureux de son informatrice et entreprend à son tour de manipuler ses supérieurs pour la sauver.Quand à Collette,elle se trouve dans une situation impossible et subit une pression énorme,coincée entre son officier traitant,qui ne lui est pas indifférent,et les siens,qu'elle désapprouve mais ne désire pas trahir.Pas étonnant qu'elle soit peu bavarde,car il n'y a plus personne à qui elle puisse parler.Son interprète,la jolie Andrea Riseborough,exprime avec une magnifique sobriété les tourments de cette héroïne d'un quotidien désespérant,retranscrivant à travers des regards et des gestes le bouillonnement intérieur qui l'agite en permanence.Clive Owen,toujours solide,incarne Mac avec un talent sûr et excelle à matérialiser à l'écran la faille grandissante qui fissure un personnage au départ minéral.Les seconds rôles sont très bons,notamment Aidan Gillen,qui joue Gerry,le combattant excité,et un Domhnall Gleeson,encore une fois épatant en terroriste immature.Quand à David Wilmot,il donne au personnage de Kevin une aura malsaine et fait froid dans le dos en Robespierre irlandais.

pierrick_D_
8
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le 4 mai 2018

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pierrick_D_

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