Il s’était fait un nom avec Incendies et Prisoners (Enemy étant passé inaperçu aux yeux du grand public). Désormais, il entre indubitablement dans la légende ! Et pour cela, le réalisateur canadien Denis Villeneuve s’est frotté à un genre de film mille fois vu au cinéma, celui mettant en scène les cartels mexicains. Que ce soit la multitude de séries B violentes ne pensant qu’à l’action ou bien les projets d’auteur à la Traffic, ce type de longs-métrages n’avait a priori plus aucun secret pour nous. Et pourtant, depuis le dernier Festival de Cannes, Sicario n’arrête pas de bluffer les critiques, ces dernières le considérant sans détour comme un chef-d’œuvre à ne pas manquer. Et il y a de quoi !


Mais avant de commencer, il faut tout de même préciser que le film en laissera certains sur leur faim, n’ayant tout simplement rien d’une production hollywoodienne. Pourtant, il a tout pour : des têtes d’affiche prestigieuses (Emily Blunt, Benicio Del Toro et Josh Brolin), une promotion qui insistait sur des séquences d’action (fusillades, explosions, corps-à-corps…) et une allure de divertissement au scénario tenant sur un timbre poste. Au final, Sicario se présente à nous comme un film d’ambiance, propre à son réalisateur (il suffit de se rappeler de Prisoners). Alors ne vous attendez pas à voir du Michael Bay (bien que la comparaison soit assez excessive, j’en conviens), vous serez plus que déçus sur ce point-là étant donné que le film n’a pas de scènes divertissantes dans le premier sens du terme à nous proposer. Surtout des moments au premier abord calmes qui donnent quelques longueurs à l’ensemble. Il est vrai que se montre assez frustrant, mais cela serait ne pas prendre Sicario pour ce qu’il est, à savoir le film de cartel par excellence.


Plusieurs réalisateurs s’y sont attaqués avec succès, (Steven Soderbergh, Michael Mann), d’autres sans marquer l’histoire du cinéma (Oliver Stone, Ridley Scott). Le petit Denis Villeneuve arrive en grandes pompes et les surpasse tous en livrant le premier long-métrage parvenant à dresser un portrait véritablement viscéral des cartels mexicains. Vous en aurez littéralement le souffle coupé, ce n’est pas des blagues ! Dès les premières secondes du film, à savoir l’exhibition des logos des différentes productions, il suffira juste des notes de musique de Jóhann Jóhannsson pour vous mettre dans le bain illico, à savoir être happé par une ambiance à la fois dérangeante et captivante (à l’instar de Prisoners). Les images et scènes du long-métrage viendront par la suite confirmer cela, notamment via la fabuleuse photographie de Roger Deakins qui n’a plus rien à prouver, nous transportant dans une épopée barbare, complexe et exténuante. Tout est réalisé pour que vous soyez au final aussi tendus que les personnages face à l’imprévisibilité et le danger des cartels (rien que les paysages sont filmés comme des no man’s land), que ce soit par des séquences d’action (mention spéciale au convoi à travers la ville de Juárez), plus intimistes (les incertitudes de l’héroïne) ou un final rondement mené. Puissant. Percutant. Les qualificatifs ne manquent pas !


Du côté du scénario, c’est également une très grande surprise. Si l’on ne se base que sur le synopsis de base, Sicario se présente alors comme n’importe quelle série B de bas étage. Mais le film de Denis Villeneuve ne fait pas que suivre une équipe fédérale plongée en plein cœur d’un conflit armé. Il dénonce et révèle bien des choses. Comme le fait que la CIA agit de manière bien illégale (ayant un rapport avec le titre) afin d’éradiquer les cartels, se mettant ainsi à leur niveau. Ou encore les dommages collatéraux causés par cette guerre montrée à travers une famille évoquée de manière anecdotique dans le film afin de souligner le peu d’importance accorder à ces victimes-là par les principaux protagonistes. Il est vrai que beaucoup se demanderont si c’était bien la peine que Sicario s’intéresse au sort de l’héroïne, étant donné que cette dernière ne fait, sans exagération, rien de tout le film si ce n’est regarder et râler auprès de ses collègues. Mais cela permet de nous rapprocher d’elle avec facilité, celle-ci étant descendue alors à notre niveau, à savoir spectatrice et impuissante face aux événements auxquels elle assiste. Un effet diablement efficace qui renforce encore plus l’atmosphère viscérale de l’ensemble, renforçant le côté réfléchi et tortueux de l’histoire.


Et il ne faut pas oublier le casting que s’offre le film ! Hormis des seconds rôles assez marquants, dont un étonnant Daniel Kaluuya habitué aux comédies (Johnny English : le Retour et Kick-Ass 2), ce sont les têtes d’affiche qui retiennent tout notre attention. À commencer par Josh Brolin, qui surprend de film en film, et qui se permet grâce à Sicario de dévoiler une toute autre facette de son jeu d’acteur, jusque-là cantonné aux bons samaritains ou personnages au grand cœur. Ensuite vient Emily Blunt, l’actrice hollywoodienne montante du moment qui sait se glisser dans la peau d’un personnage plus badass qu’à l’accoutumé (Edge of Tomorrow le révélait déjà l’année dernière) sans en oublier sa complexité. Et enfin, la palme revient au brillantissime Benicio Del Toro qui, même après diverses récompenses dont l’Oscar du Meilleur acteur pour (tient, tient) Traffic, arrive encore à nous surprendre. Ici, le Portoricain glace le sang autant qu’il respire par moment la confiance. On ne sait comment le prendre, ce qui le rend encore plus dangereux et imprévisible, comme le confirme une séquence d’exécution des plus violentes et bluffante. Il est sans conteste le comédien le plus mémorable de Sicario, et ce n’est pas sans raisons !


D’ailleurs, le film peut aussi se vanter de rester dans les mémoires, étant ni plus ni moins qu’un nouveau chef-d’œuvre à rajouter à la filmographie naissante de Denis Villeneuve, un réalisateur dont il faut absolument suivre le parcours. D’autant qu’il va l’agrandir avec des projets de taille tels qu’une comédie romantique de science-fiction mais surtout un Blade Runner 2 qui, pour le coup, se fait attendre. Surveillez les Oscars de 2016 : je suis prêt à parier que Sicario fera partie des nominés !

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le 14 oct. 2015

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