Silk Road
Silk Road

Film de Jytte Rex (2004)

Surimpression de réalités à l'orée de la mort

Difficile de ne pas penser à Tarkovski en regardant "Silk Road", tant "Le Miroir" semble avoir imprégné la réalisatrice danoise Jytte Rex dans son projet. La thématique en est extrêmement proche : une artiste mourante, sur son lit d'hôpital, se remémore sa vie passée. L'approche rappelle elle-aussi la démarche du cinéaste soviétique, puisque les souvenirs qui défilent devant les yeux de la protagoniste apparaissent de manière confuse, désordonnée, chaotique en apparence. Elle semble littéralement revivre certains de ses souvenirs les plus marquants, jusqu'à ce qu'on réalise que la réalité passée telle qu'elle se la représente n'est en fait qu'une superposition de faits avérés, de rêves, et de sensations spontanées. Des bouleversements psychologiques, retranscrits à l'écran à l'aide d'un montage très particulier, alimentés par le cerveau d'une malade à l'orée de la mort.


Dans sa mise en œuvre, cette "route soyeuse" vers l'au-delà diffère sensiblement de sa principale inspiration de 40 ans son aînée. La contextualisation y est beaucoup plus marquée, rendant l'interprétation du voyage plus ou moins évidente. La citation initiale de Bouddha ("Une vie est un éclair dans le ciel, elle court comme le torrent dévale une montagne escarpé") et finale de Karen Blixen circonscrivent assez fortement le récit dans ce sens. Quelques passages un peu maladroits sont à noter, comme celui tentant d'incorporer la théorie de la relativité restreinte et les courbures de l'espace-temps. Le voyage peut s'apparenter, sous certains aspects, aux déambulations du personnage principal dans "La Clepsydre", dans une version plus sensible et au sein d'un univers moins historique et foisonnant.


Mais c'est le travail de montage qui confère à "Silk Road" toute sa force, tout son intérêt — pour peu qu'on y soit sensible. Le film est en grande partie composé de plans en surimpression et de fondus enchaînés, conférant à certaines séquences une dimension étrange, une forme de continuité hypnotique à condition de se laisser aller. Souvenirs, rêves, et motifs oniriques (courants d'eau, voiles, structures architecturales, etc.) se superposent, tout comme passé, présent, et futur, et se colorent mutuellement, avec plus ou moins de force, au gré des surimpressions, de leur hiérarchie et de leur intensité. Le métier de la protagoniste, restauratrice de tableaux (Léonard de Vinci et d'autres peintres de la Renaissance), influe bien sûr beaucoup sur cet univers qui se développe à la lisière de sa conscience. La mort se vit ainsi à travers une perception hallucinée, sous forme de poésie visuelle à l'intelligibilité variable, loin des conventions habituelles en termes de narration.



Oh, sister, when I come to knock on your door
Don't turn away, you'll create sorrow
Time is an ocean but it ends at the shore
You may not see me tomorrow
Bob Dylan, "Oh Sister"



[AB #151]

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le 8 nov. 2016

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Morrinson

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