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Une rencontre. Un amour fort. Une vérité inaltérable. Voilà comment, en quelques mots on pourrait résumer sommairement Singularités d’une jeune fille blonde / Singularidades de uma rapariga loura (2009) de Manoel de Oliveira. Pourtant cette entrée est peu de chose voire rien devant une œuvre qui se veut simple et belle, jouissive et directe.


Au cours d'un voyage en train vers l’Algarve, Macário se confie à une inconnue. Ce dernier lui parle d’une déception amoureuse. Alors qu'il est tout juste embauché comme comptable dans l’entreprise de son oncle Francisco à Lisbonne, il tombe amoureux d’une jeune fille blonde qui vit dans la maison de l’autre côté de la rue. Il fait sa connaissance et décide de l’épouser, c’est sans compter sur l'hostilité de son oncle, opposé au mariage et qui le chasse de chez lui. Macário, sans revenu part pour le Cap-Vert et y fait fortune. Il revient alors de son voyage d’affaire et obtient enfin le droit d'épouser la jeune femme blonde qu'il aime pourtant une révélation vient noircir l’état des choses…


Dernière réalisation en date du doyen des cinéastes internationaux (à l’heure que j’écris ces quelques mots), Manoel de Oliveira offre avec Singularités d’une jeune fille blonde, une œuvre d’une maîtrise et d’une maturité qui frise avec le terme parfait. Question de maturité, on ne pouvait en attendre pas moins d’un cinéaste qui a passé toute une vie dédié au cinéma. Question de maîtrise, le maître se montre comme un cinéaste talentueux qui n’a plus rien à prouver, mais est-ce bien important de le préciser ? Tant que l’évidence est de mise. Cette œuvre se montre très accessible, par son histoire mais aussi sa mise en scène à l’esthétisme superbe. Manoel de Oliveira, en véritable artiste de génie qu’il est, nous glorifie d’une œuvre contemplative et poétique où scénario, dialogues et plans semblables à des tableaux sur pellicule sont réfléchit, travaillés avec une virtuosité et une intelligence peu commune.


Singularités d’une jeune fille blonde dresse alors le portrait d’une génération, d’une caste. Á travers le parcours initiatique de Macário et son libre droit d’aimer, l’auteur fustige le conditionnement des rapports en société de la classe aisée mais aussi les conflits générationnels. Ainsi, le protagoniste va à l’encontre de sa classe sociale, contre vents et marées il se bat pour son amour en s’opposant à son conditionnement. On n’oubliera pas non plus ce petit doigt accusateur du cinéaste sur l’honnêteté et l’hypocrisie qui régissent nos sociétés. Manoel de Oliveira fait preuve d’une grande sensibilité en établissant un regard lucide sur ce qui nous entoure. Il naît de se rapport à notre environnement un conte ironique sur l’amour et le désir qui en découle mais aussi sur l’argent qui s’inscrit inévitablement comme un vecteur de réussite dans la société.


Avec cette narration dans la narration, Macário qui se raconte à une inconnue précédé par sa voix off qui lui rappelle : "ce que tu ne racontes pas à ta femme ni à ton ami, raconte-le à un étranger", nous assistons au fantasme d’un homme, la fascination qui s’opère autour d’un objet, l’éventail chinois qui se transforme dès lors en un objet emprunt d’érotisme. Il terminera par porter son regard sur une jeune femme à l’aura mystérieuse incarnant la pureté, un regard qui idéalise cette dernière jusque dans son paroxysme. Notre protagoniste est obnubilé par la jeune fille blonde à l’éventail chinois enfermée dans un tableau représenté par les contours de la fenêtre. Il la contemple comme on contemplerait un tableau de maître dans une galerie jusqu’à ce que la méprise chamboule tant de fascination et d’idéalisation à son égard et que la vérité se révèle au grand jour et qui de surcroît révèlera l’hypocrisie qui fait l’homme.


Que dire de la fin de Singularités d’une jeune fille blonde ? Le récit prend fin brutalement en énonçant un constat sans appel sur les femmes, ces femmes sous l’emprise d’une imagerie masculine, une prison de stéréotypes qui les conditionnent : elles n’ont pas le droit à l’erreur et la sentence se fait des plus violente qui soit. Manoel de Oliveira nous offre donc un chef d’œuvre sans artifice, sans fioriture allant à l’encontre des conventions qui veulent du spectacle tape à l’œil et gratuit sans parler des durées de film préétablit. Ici, en un peu plus d’une heure, le maître raconte, expose son propos avec véracité et mansuétude. Pourquoi faire long lorsqu’on peut faire court et bien qui plus est ? Quelques-uns devraient en prendre note… Singularités d’une jeune fille blonde, une leçon de cinéma, rien que ça.

IllitchD
8
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le 30 août 2012

Modifiée

le 30 août 2012

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IllitchD

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