Ce serait un euphémisme de dire que la tâche était lourde pour le talentueux Sam Mendes. Jusque-là réalisateur quelque peu indépendant sur la scène hollywoodienne, il était intéressant et prometteur de le retrouver affilié à la plus grosse saga du cinéma occidental. Trop longtemps encombrée par un cahier des charges précis et un schéma narratif connu de tous, la série avait fait peau neuve de façon fracassante avec Casino Royale en 2006, une sorte de retour aux bases sans gadgets ni humour vaseux de trop. Malheureusement, le brouillon Quantum Of Solace avait un peu entamé ce retour en fanfare, il incombait donc à Sam Mendes de relever la barre. Mission accomplie ? (attention, certains éléments de l’intrigue seront révélés par la suite)

Première surprise, moi qui m’attendais à une introduction posée pour mettre en place les enjeux, on a en fait droit à la scène d’action la plus spectaculaire du film sous la forme d’une poursuite totalement dingue. Ce qui est fort, c’est que les exploits accomplis tels que de la moto sur des toits ou un combat sur un train ne sont pas du jamais vu pour le célèbre espion, mais le tout s’enchaîne de façon fluide et cohérente, avec un sentiment d’urgence et de danger constant. Le flegme et l’humour de 007 sont toujours présents, émaillant la séquence de piques envers sa partenaire de mission et M, suivant leur progression depuis le QG du MI6 à Londres.

50ème anniversaire de la saga oblige (quand même !), le film est rempli de clins d’œil plus ou moins importants à ses précédentes aventures. Comme je disais plus haut, la poursuite en elle-même n’est pas inédite, mais a le mérite de créer une vraie tension et d’être d’une grande lisibilité. La conclusion de cette longue séquence d’action se conclut à la « On ne meurt que deux fois », avec un James Bond officiellement mort, sans indice de sa survie pour le spectateur.

Le générique qui suit est certainement un des plus beaux de la saga, formellement parfait et jouant habilement de la déchéance du héros. J’avoue avoir été agréablement surpris par la chanson d’Adele, que j’attendais un peu au tournant.
Cet opus parvient à se montrer original sur de très nombreux points tout en respectant l’héritage de la saga, dans la même veine que Casino Royale avant lui. Par exemple, l’agent lui-même ne réapparaît pas immédiatement, nous laissant le temps de découvrir de nouveaux personnages et d’en apprendre plus sur M, et le « grand méchant » ne se montre (physiquement) pas avant la moitié du film.

Leur absence post générique, si elle est synonyme d’un rythme plus lent, permet de développer des thèmes rarement vus dans la saga, tels que le vieillissement de James Bond comme du MI6 et de leurs techniques d’espionnage en général, avec une ambiance de fin d’époque et de paranoïa. Les autorités en place sont dépassées, reposent trop sur des technologies modernes pouvant aisément se retourner contre eux.
A son retour, l’agent n’est plus que l’ombre de lui-même, et pourtant semble être le dernier recours de M contre une nouvelle menace encore inconnue.
Les prétextes plutôt minces pour voyager aux quatre coins de la planète sont toujours là, mais il faut bien admettre qu’on les pardonne immédiatement au vu de leur utilisation. Roger Deakins, directeur photo récurrent des frères Coen, met superbement en valeur les différents paysages asiatiques visités en évitant la teinte « folklorique » que la saga avait pu connaître dans ses moins bonnes années (qui a dit Roger Moore ?). C’est un plaisir que l’on ne boudera pas que de pouvoir admirer la technique et la qualité de composition de nombreux plans dans un blockbuster actuel.

Quand à la moitié du film, Silva (Javier Bardem) est introduit, il ne déçoit pas. La transition entre l’idée que l’on pouvait se faire d’un mégalomane tout puissant, tirant les ficelles dans l’ombre, à un charismatique ancien agent du MI6 est un régal. Au détour d’un long plan séquence où, au lieu d’expliquer bêtement son plan à un héros pieds et poings liés, il préfère une subtile métaphore animale de leur condition et un jeu de séduction très troublant. Ceci m’amène à un de mes quelques reproches au film : après tant de construction du personnage, et une première rencontre aussi réussie, remettant en question de façon subtile les agissements de Bond, il est sous-utilisé et agit surtout de façon bien plus classique.

Son plan général apparaît également un peu foireux si l’on y réfléchit, avec beaucoup de coïncidences nécessaires et de crypto bidules informatiques que Q n’a pas trop de mal à décoder. Silva est quand même censé être tout puissant, surtout vu ses agissements à distance en début de film et sa proposition de collaboration faite à 007. Il reste tout de même intéressant qu’il cherche à se venger de M et non à détruire le monde avec un laser géant, en cela il reste dans la logique des deux derniers méchants de la saga.

Les influences et clins d’œil à d’autres films que des James Bond sont également nombreuses et étonnamment bien insérées. On trouve un peu de Collateral dans l’immeuble avec d’innombrables portes vitrées parcourus par les néons publicitaires, un peu d’Apocalypse Now dans un hélicoptère ennemi diffusant de la musique pour une entrée très théâtrale, et surtout du Chiens de paille dans l’assaut final du manoir, lutte acharnée pour la survie dans l’ancienne demeure familiale. C’est surtout une facette totalement inédite de l’agent secret qui est abordée ici, et de nombreux films ont prouvé qu’il était difficile de revenir aux origines d’un personnage sans le gâcher ni raconter quelque chose d’inintéressant. Le défi est relevé ici puisque le peu qui est révélé sur son enfance et la mort de ses parents cadre assez bien avec ce que l’on connait du personnage, notamment ses problèmes avec l’autorité et son côté assez sombre et renfermé.

Une fois fini, le film est à la fois très complet pris à part, mais s’insère bien à la suite des deux épisodes précédents pour créer une transition vers le personnage tel qu’on le connaissait au départ, puisque Casino Royale était un retour aux origines. C’est quelque chose que j’ai hâte de voir avec Craig, qui dans Skyfall se montre aussi à l’aise dans les moments difficiles et les accès de colère que pour jouer le parfait gentleman anglais.
Enfin, la grande question qui flottait avant la sortie du film était de savoir si l’on tenait ici le meilleur James Bond, pour ma part je dirais que non à cause des quelques défauts que j’ai relevé, et du fait que je lui préfère Casino Royale pour son rythme implacable et son méchant qui reste un de mes préférés. Je le place par contre parmi les meilleurs avec les premiers épisodes avec Sean Connery, les deux avec Timothy Dalton (qui étaient les premiers à présenter une vision plus sombre du personnage) ou encore Goldeneye.

Le blockbuster de l’année pour ma part, ainsi qu’un apport remarquable à une saga aussi inégale que mythique. Espérons que le prochain épisode soit de la même trempe, car il serait difficile d’encaisser un autre Quantum of Solace après une telle mise en place.
blazcowicz

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