The Smashing Machine de Benny Safdie a été récompensé du Lion d'argent lors de la 82e Mostra de Venise et devrait, selon la presse et certains analystes, figurer dans la liste des nominés de nombreux autres festivals, dont les Oscars. Les professionnels du secteur ayant fait leurs spéculations et promis un avenir radieux à ce film, je vais maintenant tenter d'expliquer en quoi la dernière collaboration d'A24 a tout d'une immense imposture artistique.


Tout d'abord, The Smashing Machine n'est pas un biopic classique mais une réadaptation, ou devrais-je plutôt dire une copie conforme du documentaire du même nom réalisé par John Hyams en 2002. Je vous assure ne pas exagérer d'aucune manière mes propos en affirmant que l'œuvre de Safdie a littéralement et fondamentalement repris toutes les scènes de son prédécesseur, une par une, plan par plan. Les combats, les conférences, les entraînements, les discussions privées, les scènes chez le médecin ou à l'hôpital, les rencontres avec des fans, les shootings, les verres entre amis, les moments de gloire, les échecs… Oui, tout. Et si cela ne suffisait pas, c'est filmé de la même manière (je reviendrai là-dessus), monté selon la même historicité et explorant les mêmes thématiques.


Les seules perspectives que Hyams n'a jamais explicitement filmées durant son reportage sont les disputes et discussions privées du couple Mark-Dawn. Une intimité laissée au couple qui est évident et logique, dans la lignée d'une documentation éthique et surtout humaine : personne n'a besoin de connaître les raisons précises d'une engueulade pour comprendre qu'elle affecte quelqu'un, par exemple pour ses combats.

Malheur ! Que faire pour Safdie s'il ne peut plus s'imprégner de sa seule source ? Va-t-il devoir créer ? Imaginer ? Réaliser ? Quelle horreur complexe ! Mais il semblerait qu'il n'ait malheureusement pas le choix. Alors, le réalisateur d'Uncut Gems se met à l'œuvre, il ne sait pas comment faire mais il va valeureusement essayer. Il est conscient que filmer la vie d'un couple au quotidien n'est pas tâche aisée, que s'élancer dans la psychanalyse visuelle est un art unique et que maintenir l'attention du spectateur est un exercice incertain. Une solution s'offre à lui : se focaliser sur les rebondissements, sur la tension du couple et sur l'exagération (une tentative de suicide sortie de nulle part par exemple, pas mal comme effet coup de poing !).

Résultat : le réalisateur ne fait pas que dupliquer, il ment.

Dawn est décrite comme une hystérique bipolaire inconsciente tandis que Mark passe pour un égoïste détaché de toutes préoccupations émotionnelles. Pour un biopic qui veut élever Mark Kerr au rang de martyr, ce n'est pas très reluisant.


Vous vous doutez bien que si je descends autant ce qu'il a imaginé, je serai tout aussi impitoyable sur ce qu'il a plagié (j'emploie ce terme dans la mesure où, parmi toutes ses interviews, il avouera tout au plus s'être "inspiré" du documentaire).

Et s'il y a bien une chose qui importe quand on réalise un biopic sur l'un des plus grands combattants de l'histoire de l'UFC, c'est assurément les scènes de combats. Sauf que, avec la plus grande des surprises, ces dernières sont creuses, amorphes et surtout sans relief. Safdie a devant sa caméra le sport le plus corporel et tangible qui soit mais ne profite même pas de l'opportunité pour filmer la substance des sportifs. Aucun muscle qui s'entre-choque, de sueur qui aveugle, de souffles bovins, de regards incisifs ou de foule sidérée. Au lieu de dynamiser des combats qui ne demandaient qu'à exploser de tension, il préfère dramatiser une romance qui n'en avait pas besoin. Pourquoi sommes-nous punis de l'action pure ? Pourquoi notre vue est-elle toujours obstruée par une corde, un coach ou un changement d'angle de vue ? Pourquoi sommes-nous si loin du ring ? Difficile de savoir si l'on regarde un biopic sur Mark Kerr ou sur son porteur d'eau à ce niveau-là…

Je tiens à préciser d'ailleurs que par respect pour les classiques du genre (Nous avons gagné ce soir, Raging Bull, Rocky, Million Dollar Baby, Fighter voire même Iron Claw pour réunir le club A24), je ne les comparerai aucunement avec ce film et j'espère que la critique fera de même.


Et si la tension ne se trouve pas dans la forme, elle ne se trouve pas dans le fond non plus. Ce qui est idiot d'ailleurs car il y avait tant à explorer sur l'obstination des combattants à faire ce qu'ils font au dépit de leur santé mentale et physique. Pour être honnête, j'ai cru un court instant, lors d'une des disputes conjugales, que le personnage joué par Dwayne Johnson allait enfin délivrer tout ce qu'il avait sur le cœur. J'ai espéré que sa psychologie sortirait enfin de l'abîme et qu'il allait nous livrer une tirade prévisible (mais pas lourde pour autant) et touchante sur sa condition de bête de foire, sur la gestion désastreuse et immorale des organisations de l'UFC ou sur son mal-être lié à l'addiction… D'ailleurs, je n'ai pas évoqué la performance de The Rock dans son premier "film d'auteur", mais il faut avouer qu'il a suffisamment démenti les moqueries à son égard, dommage que ce soit dans le cadre d'un navet pareil. Emily Blunt, je passe outre, on connaît déjà ses qualités. Quant à Bas Rutten (qui joue son propre rôle de coach) et Ryan Bader (réel combattant MMA), leur présence est plus anecdotique que captivante.


Le seul point positif de ce film qui me fait regretter de mettre une note si basse est la sublime bande originale de Nala Sinephro, qui nous offre, pour son premier coup d'essai au cinéma, un assemblage de jazz expérimental et d'instrumentation hybride sous une dimension minimaliste et très spirituelle. On croirait se retrouver par moments dans l'univers de Blade Runner avec les fluides saturés du synthé. Il y a aussi cette magnifique scène du couple dans sa Porsche rouge qui m'a fait penser à un mélange entre Space Adventure Cobra et Interstella 5555. En espérant que cette compositrice apparaisse dans de nombreux films à l'avenir, les B-O singulières se font rares de nos jours…


The Smashing Machine est donc l'essence même de ce qu'il dénonce : un événement qui donne toute son importance au paraître et au divertissement sans se préoccuper une seule seconde du substrat du MMA et des afflictions inhérentes aux combattants.


Pour conclure, comment ne pas évoquer cette scène finale d'une bassesse sans nom où Safdie, après nous avoir pondu sa réadaptation aseptisée à la sauce hollywoodienne, souhaite que l'on fasse du marketing à sa place en tentant de nous imposer l'idée que Mark Kerr est un martyr et qu'il a besoin d'une reconnaissance du public, autrement dit que son film soit vu par le plus grand nombre…

Je n'ai pas beaucoup ri durant la séance, contrairement aux autres spectateurs, mais je n'ai pas pu retenir une esclaffade lors de cette apogée du ridicule.

Rares sont les films qui s'agenouillent à ce point pour qu'on leur accorde une valeur qu'ils ne méritent pas.

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le 2 oct. 2025

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PabloEscrobar

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