J'avais vu ce film il y a quelque temps et l'avais trouvé bien, sans plus, un De Palma mineur disons. Je viens de le revoir au cinéma en 35 mm et c'est une merveille.


Il s'agit d'un film très influencé par le théâtre puisqu'on y retrouve les trois unités classiques : lieu, temps, action. Le film se passe quasi exclusivement en intérieur (le casino d'Atlantic City), sur une durée très courte (moins d'une journée, je me demande même si ce n'est pas du temps réel, enfin peu importe) et bien sûr il n'y a qu'une intrigue (découvrir la vérité sur un assassinat), seules les dernières minutes sortent un peu du cadre. Il y a d'ailleurs une scène qui rappelle très fortement le théâtre, c'est lorsque les personnages de Nicolas Cage et Gary Sinise se retrouvent autour d'une grande table, et que derrière eux se dresse un ciel rougeoyant en trompe-l'oeil, comme si le casino dans lequel nous évoluons n'était bordé que de vide.


Malgré cela, il est impossible de parler d'un film théâtral étant donné l'omniprésence des écrans et des caméras, et bien sûr au vu des prouesses effectuées par la caméra de De Palma. On a même l'impression que c'est avec ce film que le cinéaste atteint son idéal de cinéma, puisque rien n'échappe à la mise en scène. Snake Eyes est en effet un film sans hors-champ, puisqu'à la fin nous avons une vue d'ensemble de tout ce qui s'est produit, rien ne nous aura échappé. Snake Eyes, c'est en quelque sorte l'utopie de Brian De Palma, ce qui en fait un objet beaucoup plus joyeux que Rashômon auquel on peut le comparer. Tout le plaisir qu'on éprouve devant ce film vient ainsi du plaisir manifestement éprouvé par De Palma à le faire, un plaisir très enfantin, celui de construire un univers entier qu'il faudrait explorer en profondeur. Comme exemple de cela, il y a ce plan en plongée zénithale au-dessus des chambres de l'hôtel : tout un monde se dessine, plein d'inconnus qui vivent un instant sous nos yeux. De Palma parvient à s'approprier la surveillance généralisée propre au monde contemporain pour la rendre poétique : la possibilité de tout voir, rendue possible par ces caméras disséminées partout, offre une immense capacité de création à celui capable de mettre en forme les images. Snake Eyes est l'utopie d'un voyeur, mais un voyeur moins concupiscent que poète.


La fin douce-amère est finalement à l'image d'un film conscient de sa vanité (rien n'a changé dans ce monde de vice), mais qui en même temps respire la joie et le plaisir du jeu : pour les acteurs (le verbe "jouer" prend tout son sens), pour le cinéaste, et aussi pour nous. C'est le film le plus virtuose de De Palma mais aussi le plus touchant.

Neumeister
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le 27 févr. 2017

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