Snowpiercer porte avec aplomb la lutte des classe à l’écran, dans une adaptation réussie du roman graphique de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette. Bong Joon Ho choisit de s’affranchir des contraintes scénaristiques de la bande dessinée et préfère livrer sa propre version du récit en conservant la substance intrinsèque de l’original.

Cette année, trois films de science-fiction aux postulats de départ étrangement similaires se constituaient allégorie de la “fracture Nord-Sud” ou encore de la révolte d’une classe dite ouvrière de la société contre les inégalités sociales. Le premier, l’attachant Upside Down, se concentrait sur une intrigue romantique Shakespearienne au détriment de son renversant concept de deux mondes que même les lois de la gravité opposaient. Cet été, Neill Blomkamp décevait avec un Elysium caricatural dont les arguments démagogues desservaient le propos. Et enfin, Snowpiercer, d’apparence quasi aussi manichéenne que ce dernier, reste sans conteste le plus réussi des trois, propulsé par une écriture efficace et une époustouflante mise en scène. Doté d’un casting éclectique, il nous étonne : Song Kang-Ho n’a jamais été aussi loin du prêtre de Thirst, Chris Evans s’éloigne du monolithique Captain America tandis que Tilda Swinton incarne un personnage dont la noirceur comique n’est pas sans rappeler Hunger Games – quel contraste avec la neurasthénique créature de la nuit d’Only lovers left alive !

Bong Joon Ho, qui s’est déjà fait remarquer à maintes reprises avec Memories of murder, The Host, Mother ou sa participation à Tokyo!, propose un film d’anticipation épique mais moderne, pétri de cette substance dont sont faites les légendes. Ici, le récit post-apocalyptique se transforme en fable universelle : l’humanité toute entière, réduite à une poignée d’individus de nationalités diverses, se retrouve à bord d’un train effectuant inlassablement le tour du monde depuis des années. Nous nous identifions immédiatement aux personnages les plus défavorisés, entassés à l’arrière du véhicule, car c’est ici que débutera le périple de Snowpiercer. Et à mesure que la révolte avance, chaque wagon antérieur dévoile ses secrets, qu’ils soient horrifiques ou merveilleux, avec un but ultime : l’avant du train, où l’on imagine l’aristocratie vivre une existence luxueuse, et surtout, où se trouverait le créateur du Transperceneige.

C’est donc un véritable délice de découvrir chaque facette du Transperceneige ; une logique de progression simple mais qui ferait fureur en version vidéoludique. Chaque apparition d’un nouveau compartiment est la garantie du sentiment jouissif d’avoir franchi un niveau. Quelles seront les clés narratives nécessaires au franchissement d’une nouvelle porte ? L’intrigue, d’une étonnante simplicité mais pourtant intelligemment écrite, nous maintient en haleine deux heures durant, épousant tantôt la course effrénée du convoi à travers les plaines enneigées, tantôt le calme voluptueux de wagons emplis de merveilles. La qualité visuelle de l’ensemble est d’ailleurs un des plus grands atout de Snowpiercer qui ne cesse de nous éblouir.

On pourrait donc être tenté de ne voir en Snowpiercer qu’une dystopie manichéenne, mais Bong Joon Ho se joue de nous, nous entraînant dans une direction pour nous montrer qu’au final les apparences ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être, que l’être humain n’est pas sujet à une telle simplicité. Et c’est une vision terriblement pessimiste de l’avenir de l’humanité qui est présentée, avec pour seule issue une remise en question du concept même de civilisation.
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le 21 sept. 2013

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