Sogobi
8.4
Sogobi

Documentaire de James Benning (2002)

Les quelques premiers plans de Sogobi sont bardés de merveilles, mais ce sont des merveilles immobiles.
Des arbres, des lacs gelés, des horizons sublimes, le doux bruit d'un oiseau et de celui de l'eau. Au loin, un temple de ruines, dévasté, splendide, respirant dans la douce pulsation de la nature qui enfle. Avant la vingtième minute, il n'y aura rien pour briser l'enchaînement basique de ces merveilles. Plans fixes soufflants de beautés, celles qui nous entourent chaque jour, et dont il faut que James Benning les filme durant de longues minutes pour que notre regard ne soit enfin qu'à elles. L'histoire de Sogobi, c'est celle-ci : celle du détournement d'un regard, d'un hélicoptère qui avance et perturbe le plan, nos yeux quittant le petit lac qui resplendissait pour se fixer sur lui. Celle d'une présence qui apparait, une présence humaine, troublante, brisant la contemplation, récit déchirant de la conquête du plan. Du vent, que Benning ne cessera de filmer ces vingt premières minutes, il naîtra des hommes. On ne verra aucun visage, dans Sogobi, plutôt ce qui sort des mains accompagnant ces visages. Ce qui intéresse Benning, ce n'est pas l'humain à proprement parler, mais ce que construit l'humain, et comment il le place, comment il le fait advenir dans l'environnement qu'il filme. Son constat est sans appel : tout ceci est dépourvu de beauté, de grâce, d'infini. L'homme construit et il détruit. Il détruit la pureté d'un monde, va contre le chemin de l'eau et du vent. Entre dans le plan pour en ressortir, et se vanter idiotement de son passage. L'homme n'est plus qu'une intrusion. L'hélicoptère paraît à l'image, puis s'en va, son bruit s'atténue. Les voitures qui roulent devant la splendeur d'une colline sont comme l'hélicoptère avant elles : elles quitteront le plan, toutes. Ce qui est naît des mains de l'homme traverse l'image, perturbe sa construction, entachent sa beauté, et s'en va.
Alors quel est le sens de tout cela ? L'homme bouge, se débat pour investir le champs (de la caméra et de notre vision), et puis, baissant la tête, le quitte sans un mot. Mais il a gagné : notre regard, petit à petit, est entier offert à lui. La pure contemplation ne suffit plus, il nous faut du bruit, métallique, insistant. Il nous faut une présence qui est sortie de nos doigts.
Derrière deux poteaux de bois, deux segments noirs sur l'écran, l'horizon se déploie mais ne peut plus triompher, immobile, infinie, devenue à nos yeux plus dérisoire encore que ces deux poteaux arrogants venus exhiber leur présence. Comme deux petits bonhommes perchés, restant dans le plan dans le but qu'on les voit, et puis qu'on les regarde, rien d'autre. Se poser, sans gêne, devant d'inestimables merveilles : vaste horizon devenu triste décor.
Sogobi est l'histoire d'une lutte perdue, et d'un homme, James Benning, soudain venu rappeler la beauté du vaincu.
B-Lyndon
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 15, films vus en 2014.

Créée

le 24 janv. 2014

Critique lue 464 fois

12 j'aime

5 commentaires

B-Lyndon

Écrit par

Critique lue 464 fois

12
5

D'autres avis sur Sogobi

Sogobi
JanosValuska
10

L'empreinte et l'infini.

Vingt minutes, le chat dort. A mes côtés, je l’entends parfois ronronner, couvrant certains plans silencieux avant que les vocalisations de son plaisir ne disparaissent dans la richesse sonore qu’en...

le 25 nov. 2013

9 j'aime

7

Sogobi
Mayeul-TheLink
9

L'interprétation est une domination

Petit prologue pour ceux qui ne connaîtraient pas le film : Sogobi est une suite de plans de paysages sans liens apparents entre eux, de durée variable, sans personnages ni musique. Le film est...

le 9 déc. 2019

6 j'aime

7

Sogobi
Flip_per
5

Les colons

Présence humaine distanciée, grotesque et sans visage, suggérée par de parcimonieuses activités citées sous forme de litote visuelle ou sonore (ou traces archaïques également, tels les pétroglyphes)...

le 1 avr. 2024

Du même critique

The Grand Budapest Hotel
B-Lyndon
4

La vie à coté.

Dès le début, on sait que l'on aura affaire à un film qui en impose esthétiquement, tant tout ce qui se trouve dans le cadre semble directement sorti du cerveau de Wes Anderson, pensé et mis en forme...

le 3 mars 2014

90 j'aime

11

A Touch of Sin
B-Lyndon
5

A Body on the Floor

Bon, c'est un très bon film, vraiment, mais absolument pas pour les raisons que la presse semble tant se régaler à louer depuis sa sortie. On vend le film comme "tarantinesque", comme "un pamphlet...

le 14 déc. 2013

79 j'aime

45

Cléo de 5 à 7
B-Lyndon
10

Marcher dans Paris

Dans l'un des plus beaux moments du film, Cléo est adossée au piano, Michel Legrand joue un air magnifique et la caméra s'approche d'elle. Elle chante, ses larmes coulent, la caméra se resserre sur...

le 23 oct. 2013

79 j'aime

7