C'est en grande partie pour son dernier quart d'heure que Sous le ciel de Paris ne manque pas d'être cité quand il s'agit de faire la lumière sur la filmographie de Julien Duvivier. Les différents destins, contés à l'ombre de la tour Eiffel dans un noir et blanc somptueux qui rappelle tout le talent de l'orfèvre aux commandes, s'y rencontrent enfin dans une espèce de paradoxe brutal, reflet d'une réalité rendue presque banale en dépit du sensationnalisme des faits divers qui la construise. Malgré les gros titres qui concluent les différentes trames, la balance s'équilibre : Duvivier fait se côtoyer entre les lignes de la presse à scandale qui relate les drames, tristesse, misère, optimisme et espoir.


Une belle manière de mettre un terme à deux heures d'une masterclasse photographique virtuose dans les rues de Paris. 120 minutes un poil longues, toutefois, quand elles sont relatées par un objectif qui contemple, s'attarde, prend un malin plaisir à faire durer la moindre séquence. D'autant plus, et c'est le risque de l'exercice de style qu'il relève, que Duvivier met en mouvement des personnages dont le potentiel est plus ou moins là, s'attardant trop à mon sens sur les vecteurs de lieux communs soporifiques (la gamine, le père de famille, l'ingénue en quête d'amour), alors qu'il en délaisse d'autres qui auraient mérité qu'on les mette davantage en lumière (le toubib et l'inquiétant Matias surtout).


Il réserve par exemple un temps d'antenne conséquent à la petite Colette, gamine égarée dans les rues de Paris, embarquée pour une route du Rhum sur la Seine dans l'imaginaire de son copain Pirate, quand il délaisse totalement le tueur, seul personnage insaisissable, car correctement servi par un acteur qui ne se fait pas engloutir par un script avare en idées.


Voici la limite de cette épopée dont la mise en scène impressionne, cette manière qu'a Duvivier de l'inscrire au sein d'un devoir de mémoire, dans une espèce de témoignage sans prise de position de ce que pouvait être la vie quotidienne dans le Paris des années 50. Un fil rouge si léger qu'il oblige l'auteur à tordre plus que de raison ses différents fils narratifs pour les faire se rencontrer. L'opportunisme qui annonce le final, aussi intense soit-il, fait ainsi grincer des dents, d'autant plus qu'on l'anticipe en grande partie dès le premier quart d'heure.


C'est sans aucun doute souhaité ainsi, sans surprise, ni mystère, davantage un coup du sort, ce n'est d'ailleurs pas pour rien que tout est révélé par une chiromancienne de pacotille qui se révèle être étonnament précise. Choix discutable à mon avis, puisqu'il ôte une part non-négligeable d'implication au spectateur, ce denier n'ayant même plus besoin de relier les différents points des histoires croisées qui se construisent dans un didactisme scolaire un brin anesthésiant. Un peu frustrant quand on considère le talent et les moyens mis en œuvre pour raconter tout ça.

oso
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le 29 juil. 2017

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