Souvenirs goutte à goutte
6.9
Souvenirs goutte à goutte

Long-métrage d'animation de Isao Takahata (1991)

"Souvenirs goutte à goutte". En voilà un titre méconnu. De durée un peu trop longue, d'un rythme un peu trop lent et d'une construction un peu trop décousue pour les non-initiés, c'est ce genre de film dont on a une consciente accrue qu'il n'est pas fait pour plaire au plus grand public, mais bien pour prendre par la main les personnes qui ont la sensibilité faite pour lui. Et moi, ça me plait.


Souvenirs gouttes à gouttes présente donc plusieurs histoires en une, liées par le personnage qui en est dans tous les cas le personnage principal, Taeko. En 1966, Taeko a 10 ans et se montre enthousiaste et éxubérante. Elle a du mal à trouver sa place dans sa famille (au milieu de deux soeurs plus agées, d'un père réactionnaire...) et a beaucoup d'amies à l'école. Elle possède une sensibilité exacerbée pour l'artistique, ayant un talent pour l'écriture et le théatre. En 1982, Taeko a 27 ans et travaille pour une enteprise tokyoite. Profitant de vacances pour se rendre dans la région très rurale de Yamagata, elle se laisse alors envahir par ses souvenirs de ses 10 ans, qui l'ammènent progressivement à reconsidérer sa vie... C'est donc un film psychologique qui se déroule, nous montrant la façon dont des souvenirs particuliers agissent sur une personne, jusqu'à infléchir son avenir... Mais si nous comprenons bien que les souvenirs de Taeko l'ammènent à changer de vie, on ne sait pas réellement comment. Cet aspect reste donc totalement libre d'interprétation par un spectateur qui verra immanquablement sa propre expérience se greffer sur cette interprétation, et pourra constater, si il le revisionne, que son interprétation du rapport souvenirs/choix de vie aura changé entre temps. À preuve : je n'ai jamais rencontré deux personnes partageant le même point de vue sur la signification exacte des souvenirs de Taeko pour la jeune femme. Une chose est certaine : la vraie nature de Taeko semble être définitivement celle de la petite fille. Rares sont les films à laisser tant de liberté dans l'analyse de son scénario, permettant finalement à chacun d'en faire son propre film. Une caractéristique rare que je prends plaisir à vérifier avec l'évolution de ma maturité (ayant 22 ans, je suis dans un âge où je change beaucoup). Le scénario repose donc sur deux arcs. Celui ayant lieu en 1966 est une accumulation de scénettes, souvenirs, reliés par cette seule année qui semble avoir été un tournant dans la vie de l'héroine. En effet, c'est l'année ou la petite fille a vécu toutes ses "premières fois" : premier amour, première découverte de la puberté, premier grand rêve brisé... les scènes de l'enfance sont touchantes et universelles. Sans être idéalisée (certaines scènes montrent de vrais petits traumatismes), l'enfance est donc montrée avec tendresse et nostalgie, et a toutes les caractéristiques de la mémoire gommée et remodelée par le temps. Le réalisme laisse ainsi souvent place à l'onirisme, comme quand la petite fille s'envole littéralement apres son contact avec le garçon dont elle est tombée amoureuse ou quand elle chante pour se donner du courage et qu'un arc-en-ciel apparait derrière elle... À l'inverse, les scènes du "présent" de 1982 sont d'un réalisme extreme, avec des paysages très détaillés et son déroulement croise des thêmes universels tels que la romance naissante ou le choix de sa vie future et ses interrogations, avec un beaucoup plus ellitiste s'intéressant à une réflexion sur la vie à la campagne. Ainsi, cette partie souffre de longueurs, notamment lorsque Taeko arrive à la gare et est raccompagnée par Toshio puis qu'elle découvre le travail auquel elle va participer. Non dénué d'interêt, ce passage reste tout de même très long. C'est heureusement le seul passage qui a ce défaut. À coté de ces thêmes, Takahata en aborde d'autres : le poids des traditions sur les filles et les femmes n'en est par exemple pas l'un des moindres.


Pour marquer le présent et le passé, Takahata a choisi d'utiliser deux styles d'animation différents. Celui utilisé pour les souvenirs est un style habituel, plus naif et rond, avec un décor épuré et utilisant souvent des teintes de brun, de blanc. Cette animation ne souffre d'aucune critique tant elle est belle tout en suggérant parfaitement l'imperfection des souvenirs. Pour le présent, le réalisateur a choisi le réalisme. Les paysages sont ainsi extrêmement détaillés, magnifiques, tandis que les personnages ont été crée pour donner l'impression de personnes réelles, leurs mouvements de bouche étant voulus parfaitement synchronisés avec les voix des acteurs... Force est de constater que le résultat n'est pas tout à fait réussi. Ainsi, la représentation des fossettes de Taeko est très réaliste, mais a aussi la fâcheuse conséquence de lui donner une quarantaine d'années sur certains plans... L'animation reste cependant d'un très bon niveau.
La bande-son, enfin, mêle chansons folkloriques européennes et airs japonais des années 60, donnant une BO très hétéroclite dont chacun tirera de quoi se satisfaire. Les chansons de dessin animé des années 60 doivent d'ailleurs avoir un très grand impact sur les populations japonaises de la génération de Taeko. Mais la palme revient au générique final, scène à part entière et qui plus est très importante, reprise en japonais du titre "The Rose", superbement interprétée et mise en scène.


Touchant et universel, Souvenirs goutte à goutte est un beau film pas forcemment simple d'acces de par sa longueur, sa construction décousue et son empreinte japonaise très marquée, mais qui sait nous prendre par la main et nous rappeler nos propres souvenirs d'enfance tout en laissant notre interprétation personnelle se faire. Méconnu, mais regorgeant de qualité, il est à découvrir sans plus attendre.

Presci1508
7
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le 24 juil. 2016

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