Spencer
6.4
Spencer

Film de Pablo Larraín (2021)

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J’ai apprécié le style qui, sans surprise vu le réal, s’écarte du cadre académique et du film de prestige qui aurait sans aucun doute pu être tiré de ce drame opposant la pauvre princesse Diana à la famille royale sans cœur.


À la place, c’est un film de maison hanté où les spectres se font toujours ressentir, mais se montrent plus rarement. C’est quasiment un film d’horreur en fait, ou en tout cas un film d’épouvante.


Difficile de savoir si c’est ce choix stylistique qui a déterminé le décor ou bien l’inverse. On nous le présente d’ailleurs avant d’introduire Diana : une vaste demeure anglaise isolée et prise dans la froideur hivernale. Une véritable cage dorée entourée d’espaces blancs et brumeux, et où des panneaux “Silence, ils peuvent vous entendre” sont accrochés dans les cuisines.


Cette question du silence est centrale dans le film. Car si Diana veut s’exprimer, pouvoir dire qui elle est à l’intérieur, elle ne peut pas. La puissance séculaire et omniprésente à laquelle est s’est soumise malgré elle ne le permet pas. Elle doit se dissoudre dans le collectif.


Ne lui reste alors qu’une apparence (“De quoi j’ai l’air ?” demande-elle plusieurs fois). Mais même celle-ci devient source d’angoisse, à travers sa boulimie. C’est notamment le cas lors d’une scène de dîner assez perturbante qui souligne encore plus la dimension horrifique de sa situation, ainsi que la dissolution brutale de son identité.


Mais en dehors des rares moments où l’épouvante affleure réellement (y compris à travers l’apparition d’un authentique fantôme), le film choisit surtout de faire ressentir la menace comme une “simple” atmosphère. La tension induite par la musique et la caméra portée fait lourdement peser le poids des institutions et de la tradition, avec la mort future qui rôde déjà dès le début, comme une menace.


Ces institutions mortifères sont renforcées à coup de métaphores évidentes. Tout au long du film, Diana est assimilée à à Anne Boleyn, la femme d’Henry VIII, qu’il a fait décapiter, ou bien aux faisands sur lesquels la famille royale aime tirer pour se divertir. On veut d’ailleurs que même ses enfants, présentés comme son seul bonheur et parmi les derniers vestiges de son individualité, participent à cette activité.


Ici, le montage ne détruit pas la temporalité de la même façon que certains des autres films de Pablo Larrain, qui a pour habitude d’alterner les scènes avec un plus grand souci de la résonance que de la chronologie.


Mais si le film est plus linéaire, il se présente quand même comme à l’épicentre des temporalités. Elles coexistent ensemble car l’écoulement du temps est suspendu durant ce Noël au château. Dans ce cadre, l’activité s’arrête et la famille se réunit pour observer sa propre situation. C’est dans ce moment d’introspection, dans ce lieu éloigné et ce temps suspendu, que Diana se retrouve prisonnière, entre un passé perdu, un présent insoutenable et un avenir funeste.


Sa maison d’enfance est à côté, mais elle ne peut s’y rendre, le poids de son statut actuel est exacerbé par des traditions qui structurent chaque instant au manoir, et le spectre de sa mort future la hante déjà. “Qu’est qui te rend si triste ?” lui demande-t-on alors.


Kristen Stewart, contrairement à sa réputation, exprime ici beaucoup à travers son visage, son envie de hurler, de s’effondrer, de fuir, de se rebeller… “Sortez, j’ai envie de me masturber” dit-elle comme faible provocation et défense de son intimité réduite à presque rien. Mais je trouve que sa voix pincée et essoufflée est alourdie par un accent anglais très affecté. Ceci dit, je ne connaîs pas vraiment le point de référence, la voix de la vraie Diana. Alors peut-être que c’est très fidèle et que mon jugement est mal placé.


En somme, le film s’empare intelligemment d’une certaine obsession collective, celle de la vie de Diana et des rapports qu’elle entretenait à la couronne, en tout cas tels qu’on se les imagine. Ce mythe qu’on a en commun, le film se contente de le figurer. Il ne le réinvente pas, ne le challenge pas, ne le nuance pas… Il l’illustre, avec force et pertinence, par les moyens qu’offrent le film d’épouvante. L’image d’un d’un groupe sinistre qui a consummé la vitalité d’une jeune femme jusqu’à sa mort se trouve donc ici presque littéralisé, même si à la fin, le film offre aussi une forme de dignité à Diana, en se terminant su un acte de résistance et une échappée. Ça stoppe la fascination morbide aux frontières du bon goût et la laisse au moins un temps en vie.


Ce n’est pas un documentaire, c’est une fiction sous le couvert d’un portrait, mais si elle ne cherche pas la réalité d’une vie, elle exprime celle d’un héritage collectif. Voilà ce qui l’écarte du biopic habituel et en fait une réussite pour moi.

ClémentLepape
7
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le 25 févr. 2022

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