Tâche ardue que de se positionner sur ce nouveau film d'Harmony Korine. Inconnu de ma culture cinématographique, j'ai cru comprendre que le Monsieur (première nouvelle) avait une affection toute particulière pour l'humour noir, la dépeinte du paysage américain, et les symboliques un peu abstraites. Un marginal. En tout cas ce Spring Breakers est une sacrée expérience qui semble s'inscrire dans sa continuité d'artiste. Et je n'ai pas d'autres choix que de répéter ce qui sert d'introduction à bon nombre de critiques : la bande-annonce n'est clairement pas représentative de l'esprit global du long-métrage.

Là où nombre de spectateurs y voyaient une redite du peu fameux Projet X, Korine s'amuse à jouer avec son public pour l'entraîner dans un univers plus torturé, plus sombre. Un cheminement assez subtil, pourtant initié assez tôt dans le film par le biais de séquences introspectives. Ainsi, autant Spring Breakers débute au milieu d'une fête hautement alcoolisée, bercée à la Dubstep de Skrillex, sur le sable chaud floridien, des seins bien rebondis se secouant au ralenti à l'écran, une heure plus tard, le contraste est assez saisissant tant l'esprit qui se dégage alors de l’œuvre est plutôt malsain. Car Mr. Korine est un vrai tordu. J'en veux pour exemple cette scène où les persos de Hudgens et Benson violent Franco avec des pistolets. Une vulgarité sexuelle, qu'elle soit sous-entendue (rarement) ou explicite (souvent) qui est extrêmement présente dans le film. Même excessive. En effet, le réalisateur n'a pas de juste milieu et, à plusieurs reprises, ces plans crus s'ajoutent sans grand intérêt pour le film. À force, ça devient assez ennuyeux.

La très grosse réussite de Spring Breakers, c'est sa mise en forme. Sur ce point, je n'ai pas grand-chose à redire. Tout d'abord, dans la réalisation, où la caméra est portée à l’épaule la majeure partie du temps. Cela donne un côté plus dynamique, plus vivant, avec ce cadrage sans cesse actif qui suit les jeunettes, sans jamais avoir de mal de mer puisque les plans demeurent lents et indéniablement maîtrisés. On peut lui reprocher par contre de vouloir trop en faire, en zoomant un peu n’importe comment sur les visages des personnages (jusqu’à en voir les imperfections) ; attitude qui se veut propre aux films d’auteurs. Pour contrebalancer ces prises intimistes et sur le vif, le réalisateur offre également des plans larges dont la composition est étudiée au millimètre pour créer des images puissantes et évocatrices. On y retrouve ainsi un peu de l’esprit esthétique de séries bien anglaises comme Utopia et Misfits, qui ont cette image très léchée, mais très forte. Précisons, également, que Spring Breakers marque les rétines d’emblée de par son style visuel. En effet, à la croisée entre un Kaboom et un Detention, les couleurs sont pas mal saturées, très "pop" ; un univers sucré qui peut devenir indigeste pour certains. Mais ces tons qui pètent, flashent (très sympa sur les scènes de nuit), sont en phase avec cet esprit de jeunesse et donnent son caractère au film qui, à travers sa photographie soignée contraste avec la réalisation plus brute. C’est vraiment bien foutu, et la scène du braquage tout au début, filmée à travers l’habitacle du pick-up, met en exergue toutes ces caractéristiques pour offrir un plan séquence assez excellent. Tout comme celle de l’arrestation qui est altérée numériquement pour refléter l’état d’esprit des jeunes filles.

Dans cette optique artistique, la musique a évidemment une place privilégiée. Entre les titres festifs de Skrillex, plus Electro/Hip Hop de Birdy Nam Nam et Waka Flocka Flame, ou les chansons de Britney Spears, il y a Cliff Martinez. Le compositeur derrière la bande-son de Drive, notamment. Et les similitudes entre les deux films ne s’arrêtent pas que là. Déjà sur le principe de base où le long-métrage est clairement différent de ce qu’il laissait paraître, mais également sur ces longues scènes qui jouent la carte de la contemplation et de l’abstraction, ornées d’une texture musicale très ambiancée, pour un ton assez envoûtant, ou également parcourues de saturations pour un rendu plus hallucinatoire. Un autre côté de la façade très artistique du film. Néanmoins, sans arriver à remettre le doigt dessus, la bande-son de Cliff m’a très souvent laissé une sensation de déjà-entendu, surtout avec la nature des scènes en question.

Si la musique sied efficacement et fortifie la portée de la pellicule, sa prédominance tend à donner au film un aspect d’énorme clip musical, ce qui n’est pas très positif. D’ailleurs, c’est un peu ce que voulait faire Harmony, mais ce n’est pas pour autant que c’est bien ; la preuve avec Die Hard 4 où le réal voulait rendre ce côté désemparé en filmant à l’épaule. Du coup, on a la musique surmixée pratiquement pendant une heure trente, avec des scènes marquantes dans cet ordre idée, et également un montage dans cette veine, où les plans sont enchaînés sur les sons Electro, laissant les images en guise d’explication. En parlant de découpage, Harmony adopte un style plutôt sympathique en mélangeant ce qui se passe avec ce qui va arriver, et des scènes passées. On retrouve donc ce côté un peu "film d’auteur", où le film ne suit pas une chronologie linéaire en jouant sur un effet opprimant de cause/conséquence.

Même le déroulement de l’intrigue se rapproche d’un clip, allant de plus en plus dans l’exagération. On retrouve un peu l'esprit des premières saisons de Skins, où la dépravation est de mise tout en gardant un ton dramatique et partant parfois dans l'extrême. On a donc ce genre d’histoire où on en case un maximum pour coller à la musique, sans vraiment construire de scénario. Et donc, à l’image du long-métrage de Winding Refn, en dehors des associations incontestablement envoûtantes entre le visuel et la bande-son, le récite demeure très basique. Quatre jeunes filles veulent aller au spring break, et sont prêtes à tout, quitte à virer dans la dépravation et le banditisme, en compagnie d'un gangster du coin. Le film atteint même l'absurde quand le conflit de dealers entre en jeu. Par-dessus cela, on nous sert quelques dialogues qui oscillent entre vulgaires et intéressants, mais toujours assez naturels (improvisation sur le plateau), et plusieurs phrases reprises et répétées en monologue voix-off pour intensifier la part hypnotique et introspective, et garder cette part un peu plus sombre qui plane sur l’œuvre.

Côté acteurs, finalement, les "Disney girls" que sont Selena Gomez et Vanessa Hudgens, affichent des prestations tout à fait convenables (la dernière ayant le regard qui crie "braguette" constamment), mais l’on sent que le rôle a été pris pour justement casser cette image formatée qu’elles avaient (même si Hudgens a l’habitude avec ses photos nues). James Franco est, pareillement, très bon en tant que gangsta/dealer ; il en serait même parodique à la Ali G ou Fatal, s’il ne s’était pas inspiré d’un vrai rappeur floridien. Les deux autres actrices, Ashley Benson et Rachel Korine sont de bons supports. Mais au final, tout cela n’est pas très approfondi et n’a pas vraiment d’importance ; les rôles ne sont pas non plus exécutés avec une passion vibrante. Et ce n’est pas grave, car Harmony se fout un peu de ses persos, ils servent juste à lui permettre de filmer ce qu’il a en tête. En fin de compte, on n’éprouve jamais rien pour eux, même quand Gomez est éclipsée à la moitié du film alors qu’elle était un peu le pion central. Idem quand vient le tour de Rachel, et peu après de Franco, tout à tour évincés sans que ça nous touche. Sûrement pour transmettre cette idée que si tu pars de l’univers du spring break, tu n’existes plus.

À vrai dire, on ne comprend pas où veut en venir le réalisateur. Veut-il faire une critique, une caricature de la jeunesse américaine ? Ou bien l’apologie en idéalisant cette dépravation recherchée ? Les deux à la fois peut-être ? Ou bien, justement rien de tout ça, et seulement la volonté de créer une œuvre jolie et instantanée. D’après ses interviews, la balance penche vers cette dernière hypothèse. Harmony Korine met simplement en image sa propre représentation de cette culture, de cette jeunesse qui cherche ses repères et veut tester ses propres limites plutôt que de se les faire imposer. Le spring break est un moment de fête où tout est permis. Et dans Spring Breakers, l’image est en fête et le scénario se permet tout.

En somme, l'ambiance qui parcourt Spring Breakers est assez extatique, de par son maelström de couleurs, ses plans soignés, son montage dynamique, et la fascination créée par sa trame musicale. Une œuvre artistique et provocatrice qui, dans l’esprit du choix des acteurs, et son atmosphère particulière, m’a rappelé Southland Tales. Toutefois, dans Spring Breakers, on se contente surtout de suivre l’image, sans s’intéresser à ce qu’il s’y passe. C’est joli, prenant, mais on se fiche de ce qui advient aux personnages, et on se contente d’apprécier l’enrobage.
AntoineRA
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le 21 mars 2013

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AntoineRA

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