Figure majeure de la fin du Nouvel Hollywood, George Lucas reste l'artiste industriel le plus controversée de la fin du XXème et du début du XXIème siècle. Adulé autant qu'éreinté pour sa saga Star Wars dont il réajuste les formes pour ses éditions spéciales, ses films posent la question fondamentale de l'appartenance et de la dépossession de l'oeuvre d'un créateur par ses admirateurs. Ici, il sera plus question d'aborder la volonté d'un auteur de poursuivre le processus créatif sans se soucier des retours peu élogieux. Entre luttes des idées où certains aimeraient évincer le Roi de son trône pour prendre le contrôle de son imaginaire, Lucas expérimente de nouveaux versants technologiques tout en produisant en parallèle Kurosawa et Coppola. À l'heure de la retraite, "L'Empereur" est aujourd'hui aguerri et accompli mais ne peut s'empêcher de pleurer devant son empire vendu à l'ennemi et exploité jusqu'à la moelle. Un non-sens absolu lorsque l'on a connu l'artiste épris de liberté dont le summum de générosité s'est exprimé au travers d'un film Lucasien en diable: L'Attaque des clones.


L'incident du réfrigérateur nucléaire dans Indiana Jones et le royaume du crâne de Cristal aura tôt fait d'être attribué à George Lucas alors que l'idée vient bel et bien de son réalisateur, Steven Spielberg. Un esprit BD largement partagé dans les autres volets de la saga sans qu'il y soit fait montre d'une quelconque moquerie. Il fallait se rendre à l'évidence que le réalisme de Bourne, Bond, Dark knight et consort avait largement contaminé le grand spectacle Hollywoodien et que le charme d'Indy opérait moins dans un paysage cinématographique dédié à la proximité du spectateur envers son icône favorite. Indubitablement, Lucas et Spielberg avaient eu tort de ramener l'aventurier en pleine démocratisation du numérique et de la radicalisation de l'authenticité. Tort dans son anachronisme avoué où la saga Pirates des Caraïbes avait d'une certaine manière pris la relève pop et légère de l'aventurier mais également raison dans ce que peut être l'idée de prolonger une saga de manière créative en nourrissant le mythe d'éléments nouveaux. Ainsi, quoi que l'on pense du quatrième segment d'Indiana Jones, la démarche est sincère et surtout cohérente à la manière de la prélogie Star Wars. L'anecdote du frigo et l'enrichissement mythologique d'Indy contrariés par beaucoup est un biais pour traduire enfin ce que veut dire une œuvre produite ou réalisée par George Lucas. En ce sens, La Menace Fantôme s'écarte de la volonté significative de Un Nouvel Espoir en amorçant son récit par une scène d'action là où le volet de 1977 posait ses enjeux avec concision, ce qui, reconnaissons-le peut paraitre contradictoire lorsque l'on aborde l'épisode IV. Un tempo plus en accord avec l'idée du Serial mais aussi un contexte politique appuyé qui gagne en intérêt mais perd forcément en candeur. Si l'on ajoute un cast plus conforme aux nouvelles aspirations de Lucas aux antipodes du formidable triplé Hamill/Ford/Fisher, l'auteur de THX 1138 vise moins le lyrisme que la tragédie humaine. De son côté, Indy obéissait une nouvelle fois aux références du cinéma de Fritz Lang en faisant du Professeur Jones un soldat luttant aux côtés de L'armée Américaine alors que le spectateur l'imaginait libre d'entreprendre à la manière d'un Maverick. Ce choix étonnant rapprochait un peu plus Le Royaume du Crâne de Cristal du fameux Cape et Poignard qui épousait les mêmes convictions cinématographiques sous une forme de propagande fictionnelle Pulp estampillée Oncle Sam. Dans ce film, un physicien joué par Gary Cooper acceptait de combattre auprès des forces armées pour mettre à terre l'Allemagne Nazie et éviter qu'elle ne s'empare des plans de la bombe atomique. La fibre patriotique de l'homme au fouet a autant bousculé le spectateur que la volonté prononcée de Lucas de voir débarquer des extra-terrestres dans la vie de l'archéologue. Mais là aussi, la mythologie fait sens puisqu'Indiana Jones n'aura pas été le premier à mêler l'ésotérisme et les sciences occultes à la science fiction. Hergé a aussi secoué les lecteurs de Tintin en ne récoltant que très peu de louanges. L'aspect science-fictionnel se diluant, pour beaucoup de Tintinophiles, assez mollement dans Vol 714 pour Sidney . Hergé ne sera pas le seul à creuser ce sillon puisque Jacques Martin et Lefranc, Edgar P.Jacobs et la paire Blake et Mortimer en passeront également par le melting pot des genres. À l'instar des plus grands auteurs, George Lucas étonne et déçoit son spectateur mais reste totalement en adéquation avec son matériau de base sans que la fanbase puisse se douter un seul instant que tout cela n'a rien de saugrenu ou se réclame d'un vulgaire caprice. Que cela soit dit une bonne fois, Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal et La menace fantôme n'égaleront jamais leurs aïeuls mais attestent tout de même du bouillonnement créatif de leur géniteur qui sait pertinemment que les lauriers sèchent vites.


Sans aller systématiquement à la confrontation de son spectateur (nous ne mentionnerons pas ici le divorce occasionné par la note d'intention du Retour du Jedi puis la réédition de la trilogie originale en édition spéciale) George Lucas signe en 2002 un vrai film de coeur représentatif de ses aspirations les plus grandes. L'Attaque des clones cristallise à lui seul tous les rêves enfouis de son créateur dans une oeuvre somme, imparfaite réservée essentiellement aux initiés. Car il ne faut pas s'attendre à ce que le second volet de la prélogie prenne des formes amples avec pour dessein de fasciner son public. Au sein de sa saga, l'artiste industriel n'aura pas varié sa mise en image d'un iota depuis le Star Wars original de 1977. Et ce n'est pas le formalisme hors pair de ses deux meilleurs amis, Spielberg et Coppola qui changeront l'algèbre de son cinéma.Le scope au ratio 2:39 évoluera dans une suite de cadres précis et sans fioritures pour enserrer au mieux son univers de personnages sans imposer le moindre mouvement de caméra alambiqué, chose qui lui sera d'ailleurs reprochée par ses plus grands détracteurs. Là, réside d'ailleurs, le plus grand mystère de la fabrication Lucasienne soit son classicisme formel convié au royaume des plus hautes technologies. L'Attaque des clones, premier film shooté entièrement en numérique fait preuve d'une étonnante humilité filmique à l'abris de la "suriconisation" qui aurait rendu caduque la mélodie visuelle de la saga. Ce volet s'attache à représenter la dichotomie parfaite du travail de l'auteur d'American Graffiti . En 1971, THX 1138 se parait d'angles au ras du sol et de plans sophistiqués dont l'utilisation des focales sur le pare-brise du véhicule de sport du fugitif interprété par Robert Duvall accentuaient les sensations de vitesse. Pionnier dans le full CGI, l'auteur de Star Wars use de son nouvel outil sans accompagnement outrancier. Un choix qui va permettre d'illustrer clairement quelques uns des plus grands genres du vieil Hollywood assurant à ce segment d'arborer un visage plus singulier.


L'Attaque des clones vise un triple but avoué celui en premier lieu de projeter le Septième Art au cœur d'une nouvelle ère. Filmé avec la première caméra Haute définition, une Sony HDW-F900 Rhttps://pro.sony/fr_FR/products/digital-cinema-cameras/hdw-f900r, Lucas facilite les conditions de tournage à commencer par l'absence du magasin contenant la bobine 35 mm ainsi que de préserver l'ensemble du matériel filmé sur disque dur. Puis ce sont des objectifs spéciaux conçus par Panavision qui parachève la tenue visuelle du film. En 2002, la technique est encore prohibitive mais elle permet déjà d'incruster des éléments plus rapidement sans avoir à attendre la post-production. Une version brut est à disposition des auteurs assurant un pilotage créatif bien en amont. Vingt ans plus tard, le film tient encore merveilleusement la route même si les antagonistes filmés en deux temps peuvent se deviner comme la scène se déroulant aux abords de l'arène où Le Comte Dooku et Jango Fett partagent une scène de flinguage de Jedi sous influence westernienne. Et c'est justement dans l'importance de se donner les moyens visuels que Lucas peut enfin donner corps à ses rêves d'enfant.


Il a été souvent évoqué que la personnalité de l'auteur de d'Indiana Jones est une contradiction à elle seule. La part artistique de Lucas est aussi fracturée à un point où beaucoup de journalistes n'ont jamais su réellement s'ils avaient affaire à un entrepreneur, un ingénieur ou à un artiste à part entière. Incernable, l'homme élabore ses projets les uns derrières les autres sans réel autre dessein que de combler ses désirs. Si certains professionnels de la plume en désaccord avec les options prises sur la première trilogie Star Wars ont associé Le Retour du Jedi à un reflet puéril de la mentalité de Lucas, comment expliquer alors la noirceur assumée du Temple Maudit ou encore celle de Willow ? Dans cette mesure, L'Attaque des Clones est le seul film de son concepteur qui puisse répondre clairement à la question: Qu'est-ce qu'un film de George Lucas ? Nous avons à peine levé un coin du voile concernant l'aspect technique essentiel au projet que se profile déjà les réappropriations culturelles du réalisateur. L'Attaque des clones fait écho aux serials des années 30. Buck Rogers et Flash Gordon, ne sont que la surface apparente de la saga. Le coeur n'est autre que la grande cinéphilie de L'Âge d'or d'Hollywood. Et dans un élan de nostalgie, ce second volet retrouvera autant la saveur des films de cape et d'épée, que la force de frappe du film de guerre sans oublier "le sucre" du mélodrame façon Douglas Sirk. À noter justement l'incompréhension du public face aux scènes idylliques entre Anakin et Padmé bien trop dans l'emphase pour être acceptées de manière rationnelle alors qu'il s'agit de tout un pan d'un genre aujourd'hui disparu qui est mis à l'honneur.


Retrouver l'essence culturel de son passé au travers de son oeuvre n'a rien de transcendant. Elle permet de nourrir le spectacle et de galvaniser le spectateur. Ce second volet a ce supplément d'âme contenu dans ses entrailles numériques qui évoque la jeunesse et par répercussion la filmographie de George Lucas. Dans l'une des scènes de course poursuite de L'Attaque des clones, Anakin empoigne un véhicule aux formes aérodynamiques de couleur jaune qui n'est pas sans rappeler l'un des premiers courts-métrages de son auteur intitulé 1 42 08 où une voiture de course effectue un tour de piste à vive allure. On retrouvera la même fascination pour la mécanique dans American Graffiti avec comme attraction principale une Hot rod Jaune (toujours) à moteur V8 qui enverra dans le décor une petite frappe du coin campée par un certain... Harrison Ford. Toujours à l'honneur, le second film et premier succès international de Lucas retrouvera ses formes rétro sixties dans le bar où Obi-Wan démarrera son enquête policière au côté de son ami Dexter. Dans cette scène, il sera fait mention de l'importance du film noir et en particulier du Faucon Maltais pour son atmosphère palpable ainsi que la progression de son récit. En seconde bobine, L'Attaque des clones se découvrira une résonance particulière sur la planète Kamino lorsque les intérieurs aseptisés aux dominantes blanches et grises évoqueront le souvenir du monde totalitaire de THX 1138.


Le voyage purement culturel et technique de L'Attaque des clones ne peut qu'exercer son pouvoir de fascination que si l'on en connait ses secrets. Lors de la poursuite sur Coruscant entre Anakin et un chasseur de primes, le Padawan manque de perdre la vie durant le crash de son véhicule. Un bref plan cadre son visage inquiet de la situation. Le transfert effectué entre le personnage interprété par Hayden Christensen et George Lucas alors jeune pilote se fait naturellement. Ce dernier a réellement failli passer de vie à trépas lors d'une sortie de route. Sauvé in extremis, le futur auteur de Star Wars s'est alors tourné vers le Cinéma avec succès. Quelques temps plus tard, la découverte du 1984 de George Orwell a posé les bases d'un artiste féru d'Arts, de politique et de contes pour enfant. Un grand écart à la mesure de Howard le canard (!) et la Palme d'or de Kagemusha. Inclassable on vous dit.

Star-Lord09
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le 14 juil. 2022

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