Bon bah voilà, c'était pas génial. On s'y attendait, hein, JJ Abrams reste un réalisateur très télévisuel dont la signature artistique se réduit aux lens flares, aux cadres obliques et aux travellings qui donnent le tournis. Quand un réalisateur moyen se trouve broyé dans le plus gros film de tous les temps, c'est à dire ici une machine à sous Mickey, son oeuvre est vouée à l'échec. En même temps, était-il vraisemblable que Mickey laissât trois réalisateurs de la nouvelle saga (dont deux novices bien manipulables) faire une oeuvre d'auteur, lorsque celui-ci a perdu 4.4 milliards de dollars en rachetant les droits du film ? En voyant les dix publicités ayant précédé le film faire des référence lourdingues à Star Wars, le spectateur se rappelle le but mercantile et matérialiste de l'oeuvre, qui reste avant tout son intérêt financier principal.


Au delà de la comparaison avec les deux dernières trilogies, le film en soi ne tient pas debout. En fait, ce film n'est pas un film. C'est un doudou issu d'une culture conservatrice geek qui veut réconforter des fans vieillissants et nostalgiques ultra-sensibles. En gros, le spectateur, c'est Kylo Ren, cet ado boutonneux et ingrat qui veut la mort du père. En virant George Lucas de LucasFilm, le spectat/chouineur pensait chasser le côté Obscur de la Force et restaurer l'ordre et la justice dans l'Empire. Sauf qu'il s'y est enfoncé, en refusant l'existence de tout parti-pris artistique, toute tentative de créativité, bref tout ce qui constituait la saga de départ. Le fan impulsif ne veut pas voir un film mais un mélange de fantasmes, enfanté par une imagination débordante depuis 30 ans, mis à l'écran sans réflexion artistique. En gros, il veut son doudou et s'en fout s'il a été conçu par le meilleur des fabricants de jouet ou par une machine qui produit des répliques en Chine. Tant qu'il peut dormir avec...


De fait, l'histoire suit de très près les éléments de la première trilogie, de crainte que le fan s'irrite face à de la nouveauté et de l'originalité. Les lieux "marquants" (bar, forêt, désert aride et enneigé , vaisseaux "authentiques", Etoile de la Super-Mort, etc.) et les personnages "typiques" (méchant masqué et maître méchant, mentor numéro 1, mentor numéro 2, sidekick rebelle, robot mignon, etc.) de Star Wars IV réapparaissent sous un autre nom, sous une autre enveloppe... Copies conformes peu séduisantes qui pâlissent en comparaison du matériau d'origine présent dans le casting et notre mémoire. On y retrouve des "clins d'oeil" appuyés voulant marteler au spectateur "t'as vu ? t'as vu ? nous aussi on a bien aimé les films d'avant, t'as vu on fait des références cyniques parce que c'est un film et que tu es un consommateur et tu dois rire du produit et prendre de la distance avec l'histoire". Là où Star Wars IV était un monomythe illustré qui résonnait à un niveau existentiel dans l'âme du spectateur, Star Wars VII rappelle au spectateur qu'il a vu et apprécié Star Wars IV. Sans mentir, Lucas manque. Il suffisait d'une minute, de trois plans et d'une bonne utilisation de John Williams pour faire pleurer le spectateur en filmant Luke regardant les soleils de Tatooine. En une scénette muette, Lucas suggérait toute la solitude et l'aspiration d'un jeune aventurier. En 20 minutes d'expositions tire-larmes, Abrams échoue à susciter la même émotion. Tout comme Jurassic World, cette nouvelle génération qui découvre pour la première fois les suites de grandes sagas vénéreront-elles ces répliques artificielles comme nous l'avons fait pour les films originaux ? Quand accepterons-nous le fait que plus ces doudous s'accrocheront aux vestiges du passé, plus elles perdront en indépendance et qualité artistique ?


En fin de compte, la signature de Disney est plus visible que celle d'Abrams, à travers l'humour Marvel qui fait des blagues de fans, pour les fans, par les fans et la censure enfantine, comme ce passage soudain au noir complet lors d'une scène dramatique gore. La bien-pensance PC, qui veut un casting plus divers, sert en fait de cache-misère social et d'économie de budget pour éviter de maquiller les figurants dans le background en vert: plus d'aliens, que des Chinois. Le progrès est là... Les femmes, quant à elles, sont "fortes et indépendantes", mais toujours sous l'emprise du regard jugeur des personnages principaux, eux bien masculins: Finn et Solo sont vraiment surpris qu'une femme sache se battre, conduire et réparer un vaisseau, et c'est à travers leur étonnement discriminatoire que s'évalue la force de Rey. Ce qui rend les scènes encore plus sexistes en fait, puisqu'elle se fondent sur un principe misogyne (femme < homme). Tout le contraire d'un Mad Max qui part du principe que les femmes sont aussi douées, sinon plus, que les hommes.


Bon Kylo Ren, c'est vraiment pas possible. Le personnage n'est pas bien écrit, le choix de casting est catastrophique: lorsqu'il enlève son masque, toute la salle a rigolé devant le visage de puceau innocent d'Adam Driver. Il y a deux ans de cela, Fincher disait confidentiellement que Driver était la plus mauvaise idée de casting du film, et je comprends maintenant pourquoi. Ses téléportations ahurissantes (il change de planètes en deux plans, rattrape des ennemis qui ont 500 mètres d'avance avec une jambe blessée...) et ses répliques creuses m'ont sorti du film. Le plus catastrophique étant son dilemme idéologique bidon qui se veut profond mais qui est en réalité trop risible. Kylo Ren est à l'image du film: son joujou extasie les fans, mais n'arrivera jamais à duper les véritables jedis.

Lear_Yorick
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le 19 déc. 2015

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