Stéphane
6.8
Stéphane

Téléfilm de Timothée Hochet et Lucas Pastor (2022)

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Il y a des moments, pour un encasqué de films d'horreur, où la vie vous fait un cadeau, et où vous l'acceptez en lui faisant des papouilles dans le cou. Pour moi, l'un de ces moments aura été ma participation au Paris International Fantastic Film Festival 2021 en tant que membre du jury Mad Movies : une semaine de sang, de sueur et aussi, curieusement (je ne m'en plains pas) de rires, à voir en compagnie des autres jurés plus "officiels" (on y croisait Jehanne Rousseau, présidente de Spiders, et Dédo) une palanquée de films d'horizons divers, allant de l'horreur pur jus (The Sadness, pas très très gentil) au délire en stop motion (Mad God, de Phil Tippett) en passant par des films en pré-sortie comme Bull, The Power ou Comrade Drakulich. Pour, au terme de plusieurs jours de camping dans le Max Linder Panorama et quelques rétrospectives accordées notamment à Nicolas Boukhrief ou Lucile Hadzihalilovic, finalement décerner notre propre prix, notre prix à nous, mais notre prix très officiel quand même, que nous avons accordé à l'unanimité. Et ce prix, nous l'avons décerné à une version de travail d'un certain Stéphane.


Par où commencer ? Par la réjouissante surprise du duo de réalisateurs à l'annonce de notre prix ? Par l'évidence que représentait le fait, de notre côté, de récompenser ce qui était pourtant le seul film de la compétition à être décrit comme une "version de travail" ? Par les chances théoriquement minces du film de remporter l'adhésion face à une concurrence poids lourds comme le bulldozer de gore The Sadness ou la réalisation-fleuve de Phil Tippett, monsieur "effets spéciaux d'Hollywood" ? Par l'absurdité que peut représenter le fait de couronner ce qui est finalement une comédie, française de surcroît, dans un festival international et traditionnellement dédié au fantastique à tendance sérieuse ? Toujours est-il que je ne regrette pas un instant le prix que nous avons accordé à Stéphane, ni à l'époque, ni aujourd'hui après avoir vu la version finale (qui a très peu changé par rapport à la version projetée au PIFFF). S'il devait y en avoir un, de regret, ce serait peut-être de ne voir débarquer le film qu'en streaming... même si ce n'est pas le premier issu de l'univers Youtube à se voir privé d'une sortie en salles.


Stéphane est donc l'oeuvre de Timothée Hochet et Lucas Pastor, qui tracent leur route à la fois ensemble et séparément, apparemment jamais très loin l'un de l'autre. Ensemble, ils forment une fraction du collectif "Le Monde à l'envers", trublions youtubeurs spécialisés depuis de longues années dans les pastiches d'émissions télé. Séparément, ils consacrent du temps à l'écriture et à la mise en scène : côté Hochet, l'anthologie audio à suspense "Calls" sur Canal, et côté Pastor, la chaîne Youtube CHAISE. Deux salles, deux ambiances, réunies dans Stéphane dans un tourbillon de savante bêtise, d'humour absurde, d'ironie mordante et de méchanceté gratuite ; le tout, saupoudré d'une tranquille culture cinématographique qui conscientise pleinement ses emprunts au found footage et aux "mumblecore" américains de Jay et Mark Duplass, ce dernier se voyant par ailleurs remercié au générique. Et, puisque je ne peux m'empêcher de voir cette référence dans à peu près 75% des films que je choisis de voir, il semble y avoir aussi une nette inspiration du Dominik Moll des origines... avec un Lucas Pastor prenant la place de Sergi Lopez dans le rôle du pote dangereux, Stéphane.


J'ai bu les influences de Stéphane : vous aimerez ce film si vous avez aimé "Baghead" des Duplass, étrange hybridation entre comédie romantique et Blair Witch-like, le Projet Blair Witch lui-même (les inserts random de Stéphane sont-ils un hommage à sa suite ?) les premiers films de Dominik Moll, et, sans doute par-dessus tout, le style propre de ses créateurs, dont le potentiel hardcore se concrétise selon moi pleinement sur la chaîne Youtube de Lucas Pastor. Après avoir vu Stéphane pour la première fois, j'ai dévoré en quelques heures l'intégralité de ses vidéos, qui vont du vlog qui tourne mal au prank qui tourne mal, en passant la blague qui tourne mal. Cet humour underground, raffiné et violent, que je vois un peu comme une version non censurée du déjà pas tendre "Monde à l'envers", garde pour constante l'irruption de l'irrationnel dans le réel ; à la différence que le réel était déjà idiot, et que l'irrationnel s'y invitant l'est encore plus. Un peu comme dans les podcasts de Marius/Ambroise Carminati, l'intérêt de la chaîne Chaise, et tout autant celui du film Stéphane, est ce glissement d'une situation de la vie de tous les jours vers un inconnu à la fois menaçant et drôle, qui évite soigneusement de dévoiler ses cartes pour surprendre toujours le spectateur.


Stéphane est un film de confinement : fait de bric et de broc, avec peu d'acteurs et autant de décors, c'est le stéréotype de la comédie suédée comme Youtube en produit tant, avec ce supplément d'âme kamikaze dans l'ambiance de fin du monde de la France covidée. Le hic, c'est que même connue, la recette est toujours aussi bonne. Et ici sans doute meilleure qu'ailleurs, car les ingrédients sont si parfaitement choisis et dosés qu'ils élèvent le film sans le moindre effort apparent. Lucas Pastor l'a déjà prouvé, il est un excellent acteur, et incarne à la perfection les gros beaufs tendres et inquiétants, avec une palette de jeu extrêmement large qui réserve plus d'une surprise. Sur sa chaîne comme dans son film, il est également entouré d'acteurs absolument irréprochables, dont une grande partie du mérite est de faire croire à l'authenticité du dispositif. Un peu à la manière du Sorgoï Prakov de Cherkaski, Stéphane semble profondement "réel", en incluant des personnages à l'incarnation si naturelle qu'on a l'impression de regarder un documentaire. C'est l'un des ingrédients principaux d'un found footage réussi, avec les dispositions des caméras ; et sur ces deux tableaux, le film réussit à faire illusion, à "faire vrai", ce qui, dans ce genre codifié et souvent malmené (surtout par les plus gros producteurs, à vrai dire), est une petite prouesse qui mérite d'être appréciée à sa juste valeur.


Mais finalement, Stéphane a pour plus grande qualité d'être complètement barjot. Il est perpétuellement sur la corde raide entre humour et malaise, en réussissant toujours à être très drôle. C'est ici qu'on commence à tomber dans un jugement nettement plus subjectif, l'humour étant finalement propre à chacun. Mais à sa projection au PIFFF, la salle riait aux éclats. A l'avant-première, même topo. Timothée Hochet, Lucas Pastor et tous leurs acteurs savent profondément faire rire ; et, une nouvelle fois, comme sur CHAISE (je répétérai le nom de cette chaîne autant de fois que nécessaire), la bizarroïde finesse de leur style, l'incarnation très personnelle d'un sens de l'humour pourtant quelque part assez classique donne à l'aspect "comédie" du film (très largement prépondérant) un style tout-à-fait unique, singulier. En ajoutant à ces éclats de rire perpétuels la façon très personnelle qu'a le duo d'auteurs de faire monter la tension jusqu'à l'inévitable craquage final, Stéphane se conclut de la plus lumineuse des façons : c'est un film horriblement drôle, qui passe son (court) temps à naviguer dans les eaux troubles de la comédie d'horreur indépendante pour rejaillir au soleil des oeuvres totales et sans compromis, et tant pis s'il y a un peu de casse au passage. Si vous aimez rire, regardez Stéphane ; si vous n'aimez pas, regardez quand même.

boulingrin87
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le 28 mars 2023

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