Baroque et barré Strange Circus reste l'un des films les plus personnels de son auteur. Etonnant de constater que de part et d'autre ce morceau de cinéma semble en permanence fantasmé par Sono... Onirique, outrancier cet objet fait figure de véritable bizarrerie artistique, faisant fi des conventions réalistes, du bon goût et des principes moraux. Clairement déviant, Strange Circus est une sorte de conte horrifique à degrés de narration multiples : narré sous le signe de l'imbrication et du glissement le film de Sono Sion témoigne d'une virtuosité difficilement contestable. En ce sens les 40 premières minutes, purement stylistiques et paroxystiques, restent la réussite majeure de ladite fable.
Occupant une place conséquente la musique issue du répertoire classique ( Claude Debussy, Liszt, Jean-Sébastien Bach...) a pour fonction première de mettre en valeur des images souvent dérangeantes, ou du moins désarçonnantes. La sublimation de l'ignoble, l'apologie du grotesque font de Strange Circus un film à la fois fascinant et peu évident dans la manière qu'il a de se livrer au spectateur. Tout y passe : voyeurisme, inceste, viol, orgie, sadisme, hémoglobine... Cette incursion dans l'esprit déphasée d'une jeune fille de 12 ans convoque inévitablement d'autres films à notre esprit : le dédoublement psychique rappelle forcément le lumineusement sombre Lost Highway et son schisme narratif, alors que le récit en forme de poupées russes renvoie au Perfect Blue et au futur Paprika de Satoshi Kon.
C'est d'ailleurs au cours de la seconde moitié du métrage que le film de Sono Sion déçoit. En effet si le premier acte brillait par son inventivité visuelle ( couleurs chatoyantes, montage effrénée, atmosphère délirante et parfois poétique ) la suite se perd dans les explications laborieuses du comportement de l'héroïne. En outre Sono Sion cherche trop à rafistoler son récit dans les dernières minutes, bricolant un dénouement peu convaincant et surtout déjà vu maintes fois auparavant. Cependant certaines choses forcent le respect en termes d'audace ( le Rêve d'amour de Liszt magnifiquement utilisé, la métaphore du tronc symbolisant l'impuissance féminine provoquée par l'agression...) et l'ensemble se doit d'être vu, ne serait-ce que pour sa première moitié. Un film assez frappant.