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Vu sur YouTube. Interesting to see this scene expurgated from the drama and extended in such a cheerful way. Score: que devrais-je juger? Plaisir: 5/5
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le 16 juil. 2020
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Dans La Graine et le Mulet, Abdellatif Kechiche livre une scène de danse devenue emblématique, véritable cœur battant d’un film pourtant profondément ancré dans le quotidien. Ce moment suspendu, long, tendu, presque extatique, survient brutalement pour la survie de la soirée.
À première vue, il ne s’agit que d’un interlude improvisé pour sauver la soirée. Mais Kechiche transforme cet instant en une scène d’une rare intensité sensorielle et symbolique. La caméra s’attarde sur les visages, les regards, les gestes et surtout sur le corps de Rym, à la fois magnifié et exposé. La danse commence comme une danse du ventre traditionnelle, mais devient progressivement plus charnelle, plus érotique, sans jamais tomber dans la vulgarité. Ce n’est pas tant la danse qui se transforme que le regard des autres qui la charge de désir.
Kechiche filme cette montée en tension sans artifice : plans rapprochés, montage quasi invisible, immersion totale. La caméra épouse les mouvements, épouse la musique, épouse la fatigue aussi. On sent l'effort de Rym pour maintenir l’attention, pour tenir la salle en haleine comme si elle jouait sa propre légitimité à chaque ondulation. Les musiciens l’entourent, la soutiennent, mais l’encadrent aussi. Autour d’elle, le public en majorité des membres d’une petite bourgeoisie française regarde, parfois avec gêne, parfois avec fascination, souvent avec une distance inconsciente. Certains sourient, d’autres détournent le regard, et quelques-uns, dans le fond, affichent un racisme à peine voilé.
Il y a là une friction culturelle que Kechiche ne caricature jamais. Il ne s’agit pas d’une opposition frontale entre "la culture arabe" et "la culture française", mais plutôt d’un choc silencieux entre une culture vivante, populaire, incarnée, et un monde figé dans ses convenances, son confort, son inconscient colonial. Pour certains convives, la danse devient spectacle, presque exotique, comme un numéro de cirque auquel on assiste poliment. Pour Rym, pour les musiciens, il s’agit d’un moment crucial, d’un sacrifice peut-être, mais assumé : une performance pour rendre possible un rêve collectif.
Ce qui rend la scène si bouleversante, c’est sa complexité. Rym n’est ni objet ni victime. Elle est à la fois celle qui donne et celle qui se donne, actrice volontaire et femme exposée. Le regard des hommes sur son corps est filmé sans complaisance, mais sans surplomb moralisateur. Kechiche capte cette tension ambivalente avec une précision chirurgicale. C’est le corps féminin dans toute sa réalité : désiré, jugé, admiré, et parfois nié.
Et puis, le spectacle s’arrête. Rym s’effondre, épuisée, et la fête change brutalement de ton. La musique arabe s’éteint, remplacée par un chant traditionnel français, chanté à voix haute et sans âme. Le retour à l’ordre est violent, presque cruel. Ce qui, un instant, avait semblé possible une communion, une hybridité, une vraie rencontre s’efface au profit d’une atmosphère pesante, refermée. Le rêve du père est toujours là, mais l’air semble à nouveau irrespirable.
En somme, cette scène est un chef-d’œuvre sans paroles, où tout passe par les regards, les gestes, la sueur, la musique, le silence. Une scène de fête, oui, mais une fête où la tension ne se dissout jamais tout à fait. Elle incarne à elle seule la puissance politique et poétique du cinéma de Kechiche, sa manière unique de faire du trivial un moment d’éternité, et de montrer, sans les nommer, les frontières invisibles qui séparent encore les corps, les classes et les cultures.
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Créée
le 27 sept. 2025
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Vu sur YouTube. Interesting to see this scene expurgated from the drama and extended in such a cheerful way. Score: que devrais-je juger? Plaisir: 5/5
Par
le 16 juil. 2020
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Dans La Graine et le Mulet, Abdellatif Kechiche livre une scène de danse devenue emblématique, véritable cœur battant d’un film pourtant profondément ancré dans le quotidien. Ce moment suspendu,...
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le 27 sept. 2025