Il y a, dans Superman II, cette scène suspendue où Clark Kent, enfin redevenu Superman, se dresse à l’entrée du Daily Planet, le regard fixe, le costume rutilant, prêt à affronter Zod et ses sbires. À ce moment précis, le silence s’impose. Car nous ne sommes plus devant un simple film de super-héros : nous assistons à la résurrection d’un mythe, à la lutte intérieure d’un dieu tombé amoureux d’une mortelle, et à la douloureuse conquête de son identité.
Ce deuxième opus, bien que légèrement en retrait par rapport à la majesté fondatrice du premier film, n’en demeure pas moins un très grand moment de cinéma populaire — une œuvre ambitieuse, émotionnelle, portée par une sincérité rare. Il n’atteint pas toujours l’équilibre parfait de son prédécesseur, mais il en approfondit certaines dimensions humaines avec une intensité bouleversante.
Une genèse tourmentée, un film bicéphale
Impossible de parler de Superman II sans évoquer les tensions dramatiques qui ont présidé à sa naissance. Alors que Richard Donner avait entamé le tournage des deux films simultanément, son éviction brutale au terme du premier, en raison de conflits artistiques avec les producteurs, a conduit à l’intervention de Richard Lester. Ce changement de cap entraîne une oscillation de ton, parfois perceptible, entre l’élan épique de Donner et le regard plus distancié, parfois ironique, de Lester.
Et pourtant, malgré cette fragmentation, Superman II parvient à une forme de cohérence émotionnelle. Les scènes tournées par Donner — notamment la Forteresse de Solitude ou les moments intimes entre Clark et Lois — conservent leur puissance lyrique, tandis que Lester introduit une légèreté bienvenue, un humour pince-sans-rire qui donne au film un relief humain que le premier abordait avec plus de gravité.
Une mise en scène moins solennelle, mais plus humaine
Si la mise en scène de Donner dans le premier Superman évoquait une fresque biblique, presque sacrée, Superman II choisit de rapprocher la figure héroïque de l’humain. Lester, sans être un grand formaliste, sait orchestrer l’action avec une redoutable efficacité : la scène de combat à Metropolis, malgré quelques effets datés, conserve une puissance rythmique impressionnante.
Plus encore, c’est dans les moments de retrait que le film trouve sa véritable force. Lorsque Superman, déchu de ses pouvoirs, ensanglanté dans un diner routier, comprend la cruauté du monde humain, c’est toute la fragilité du héros qui affleure. Rarement un blockbuster aura donné autant d’espace à la douleur silencieuse, à la vulnérabilité d’un surhomme confronté à la perte.
Une photographie et un montage au service de la narration
La direction photo, moins stylisée qu’avec Geoffrey Unsworth dans le premier film, reste néanmoins solide. Elle accompagne efficacement le récit, passant des teintes glaciaires de la Forteresse à la lumière blafarde de Metropolis, en soulignant à chaque fois l’état intérieur des personnages. Le montage, malgré les contraintes liées aux reshoots, conserve une narration fluide, avec une attention particulière portée à l’alternance entre drame intime et tension spectaculaire.
Une musique un peu amoindrie, mais toujours évocatrice
Ken Thorne, reprenant les thèmes de John Williams, parvient à maintenir une continuité musicale crédible, même si l’on sent parfois l’absence du souffle symphonique originel. Néanmoins, les motifs héroïques demeurent puissants, et certaines variations — notamment autour du thème amoureux — ajoutent une touche de mélancolie bienvenue, en résonance avec la tonalité plus sentimentale du film.
Des acteurs à leur apogée émotionnelle
Christopher Reeve, dont la grâce physique ne fait aucun doute, atteint ici un sommet dramatique. Il incarne avec une justesse rare ce double visage du héros tiraillé entre devoir et désir. Sa relation avec Lois Lane, plus centrale que dans le premier film, trouve enfin sa plénitude émotionnelle. Margot Kidder, vive, touchante, ironique, offre un contrepoint parfait au sérieux de Superman.
Terence Stamp, en Zod, impose une autorité glaciale et presque aristocratique. Il ne surjoue jamais, il règne. Ses comparses, bien qu’un peu caricaturaux, complètent efficacement ce trio menaçant. Quant à Gene Hackman, même dans un rôle plus secondaire, il continue d’illuminer l’écran par son charisme félin et son humour cinglant.
Une œuvre moins parfaite, mais plus intime
Il est vrai que Superman II n’a pas la pureté formelle du premier film, ni sa structure mythologique parfaitement agencée. Là où Superman: The Movie était un acte de foi cinématographique — un poème héroïque en images —, Superman II est une œuvre plus contrastée, parfois dissonante, mais incroyablement riche en émotions.
Et c’est peut-être là sa plus grande qualité : oser raconter la chute, la douleur, le choix sacrificiel, sans jamais trahir la grandeur du personnage. Oser dire que même les dieux peuvent saigner, et que l’amour, parfois, vaut toutes les pertes.
Conclusion
Superman II est une suite complexe, tiraillée entre deux visions, mais qui parvient à transformer ses fractures en matière dramatique. Moins parfait que le premier, sans doute. Mais plus tendre, plus intérieur, plus humain. Là où le premier regardait les étoiles, celui-ci se penche sur le cœur. Et c’est précisément ce geste d’humilité, cette descente d’un dieu parmi les hommes, qui confère à ce film une beauté singulière.
Il ne surpasse pas son prédécesseur, mais il le complète magnifiquement — et cela, en soi, est déjà une victoire.