Tout commençait pourtant bien: un démarrage in medias res avec une voix off qui n'attend même pas la fin du générique pour poser les bases de l'histoire, qui voit une jeune femme partir seule en Europe pour étudier la danse et puis, déjà, c'est l'arrivée dans l'aéroport: il est tard, l'Américaine est déjà perdue dans ce lieu défamiliarisé par la nuit, la lumière bleue et rouge; les portes automatiques sont filmées comme une menace alors que c'est en fait en franchissant le seuil qu'elle est précipitée dans la tempête, annonciatrice évidente d'événements tous plus tragiques les uns que les autres. L'incompréhension (volontaire?) du chauffeur de taxi, la traversée de la forêt gothique sous une pluie battante, l'arrivée devant cet immeuble d'un autre siècle; tout ça reste extrêmement classique (on est très proche, après tout, de l'ouverture de Dracula) mais efficace.


C'est au moment où victime n°1 (dont j'ai oublié le nom, c'est dire si elle m'a marqué, j'ai vu le film il y a 5 minutes) apparaît que ça commence à déraper. En abandonnant son personnage principal pour la première fois, le film bascule brusquement dans le mauvais goût tape-à-l'oeil de la série B la plus fauchée: sa course folle sous la pluie terminée (sans d'ailleurs que l'héroïne et le chauffeur ne songent un instant à s'arrêter pour lui porter assistance), V1 s'engouffre dans un autre bâtiment qui ressemble pas mal au premier, chez une amie qui joue extrêmement mal (c'est simple: on dirait qu'elle a été redoublée) pour se faire trucider dans une scène complètement ratée, alors que le synthé s'en donne à coeur joie et achève de transformer le tout en une sorte de version gore et fauchée de Thriller de MJ.


C'est malheureusement à cette deuxième scène, et non à la première, que le film va ressembler. Assez vite, les quelques bonnes surprises (l'éclairage, le thème musical allègrement pillé sur celui de L'exorciste sorti quatre ans plus tôt, les acteurs à "gueule") ne suffisent plus à sauver le navire du naufrage: on n'a jamais peur devant Suspiria. Les seuls "soupirs" qu'on pousse sont de résignation face au surjeu des actrices, au comportement stupide des personnages, à la lourdeur des effets de caméra et à la prévisibilité des retournements de situation -ah, et probablement de soulagement aussi, lorsque le générique de fin se lance. Les séquences des deuxième et troisième meurtres sont à cet égard des sommets de ridicule, qu'égale presque le combat final et la fuite de l'héroïne à travers le manoir qui implose -séquence qui a au moins le mérite de nous offrir une image étonnamment lucide de l'état des spectateurs à ce moment-là du film: bavant du sang et se tenant la tête entre les mains, terrassés, comme les pseudo-sorcières low cost, par tant de gâchis.


Ainsi, la promesse d'un remake hollywoodien n'est peut-être pas une si mauvaise idée que ça -en tout cas, il peut difficilement être pire. Quoi? Dakota Johnson dans le casting? Bon, mettons que je n'ai rien dit.


PS: à ceux/celles qui me diraient que le film doit juste être remis dans son contexte et que ce qui faisait peur à l'époque nous ferait peut-être rire maintenant, je me permets de rappeler, en guise de référence, que L'Exorciste est sorti en 1973 et Carrie en 1976. Avant Suspiria, donc.

Ruhenheim
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le 6 sept. 2018

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